Catamaran "Alcazar" Mesaric-Mazeaud

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

23 Juillet 2016 , Rédigé par Christine, Marie Mazeaud Publié dans #Navigation

Voilà, nous y sommes. Premier voyage. Première fois que nous prenons la mer avec l’Alcazar. Première vraie navigation pour Charles, le Capitaine. (Même s’il a tenu la barre d’un petit voilier pendant quelques heures entre le continent et la Corse.) Première expérience pour Christine-Marie, le Mousse. Même pas Peur !

Voilà, nous y sommes. Premier voyage. Première fois que nous prenons la mer avec l’Alcazar. Première vraie navigation pour Charles, le Capitaine. (Même s’il a tenu la barre d’un petit voilier pendant quelques heures entre le continent et la Corse.) Première expérience pour Christine-Marie, le Mousse. Même pas Peur !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Voyage de l’Alcazar du lundi 04 au Vendredi 29 Avril 2016

Saint-Mandrier -> Sibuljina

Samedi 2 avril

Arrivés à Saint-Mandrier pour préparer le bateau, le ranger, en prendre possession. Marion est du voyage et toutes les deux nous jouons aux Fées du logis avec bonne humeur. Organisation des cabines, des rangements pour que notre petit périple se déroule dans les meilleures conditions possibles.

Pour donner une petite note de fête et oublier la fatigue qui, à force de lessiver, laver, ranger, s’installe assez vite, nous nous faisons des petits restos sympas.

Le Mumm apporté par Marion est apprécié à sa juste valeur. Les « pilotins » vont bien !

Première nuit sur le catamaran, dans des bonnes couettes bien chaudes (le temps n’est pas au beau fixe, et nous ne sommes qu’au début du mois d’avril !) Le test des douches s’est bien passé, tout fonctionne.

Dimanche 3 avril

Marion se lève, ouvre les yeux difficilement : elle a très mal dormi, dérangée par le crissement incessant des cordages et des drisses. Elle repartira après le déjeuner, fatiguée mais toujours souriante, direction Grenoble, avec notre C8.

Nous nous retrouvons seuls sur ce bateau que Charles désire depuis tant d’années. Je me souviens, en octobre 2008, à peine nous étions-nous retrouvés qu’il m’envoyait déjà une photo d’un magnifique catamaran avec le commentaire «Naviguer avec toi… ».

Ça y est, nous y sommes. Le voilà Capitaine et moi, après avoir été de nombreuses années, au cours de nos différents travaux, le « botch », le second, l’apprenti, je deviens « moussaillon ». Pas de promotion !

A moi l’apprentissage des nœuds (je suis quasi nulle !) des voiles, du sens des vents, et tout le reste ! Même le vocabulaire, très spécifique, m’est étranger. Je me souviens, là, sur ce bateau qui tangue légèrement que je suis une fille des montagnes ! cela ne va pas être simple et j’ai bien peur de ne pas toujours être à la noce.

Mon Capitaine, va-t-il se transformer en pirate envers moi une fois la barre entre les mains ? Je ne pense pas mais sait-on jamais ?

Mais bon, c’est une expérience nouvelle et j’en suis certaine très enrichissante. Je me rassure et me réconforte, en terminant la bouteille de champagne.

Je commence à ressentir, au fond de moi, comme un léger pincement qui au fil de la journée se fait de plus en plus lourd.

Serait-ce un soupçon d’angoisse ? Je crois bien que oui. En plus en regardant au-dessus de ma tête, je vois un ciel chargé de gros nuages noirs qui avancent vite, signe que le vent souffle relativement fort.

Demain est un autre jour. Pourquoi pas un beau soleil ? Pourquoi pas juste une petite brise gentillette qui ne soulèvera pas la mer ?

Je ne m’endors pas facilement, malgré la fatigue, l’angoisse est là…

Lundi 4 avril

L’aube se lève, nous aussi ! Le beau temps n’est pas là pour l’instant et mon optimisme est légèrement amputé !

On s’habille chaudement, c’est rien de le dire : de vrais bibendum ! Pas facile de se mouvoir dans cet accoutrement mais avoir froid n’est pas agréable donc on choisit le moindre mal.

Le Capitaine met les moteurs en route, un doux vrombissement s’élève dans le silence du matin qui se lève, on largue les amarres tranquillement : « jusque-là, tout va bien ».

Charles manœuvre comme un chef, dans un calme olympien, comme toujours. Moi, j’obéis à ses ordres pas encore « aboyés » ! Malgré le froid et le vent, nous quittons le port et croisons déjà dans la rade de Toulon de gros navires. La ville s’éloigne en même temps que le vent forcit.

Je commence à défaire les nœuds des pare-battages pour les ranger à leur place.

J’essaie en même temps de mémoriser la façon dont sont faits ces nœuds marins. Pas facile. Il va me falloir un entrainement assidu et beaucoup de patience. M’occuper des pare-battages sera une de mes occupations obligatoires. Par n’importe quel temps, pour entrer au port ou en sortir : pare-battages j’arrive !

Apprendre à faire les choses dans l’urgence, obéir sans discuter aux ordres du capitaine qui parfois, j’en suis sûre, me houspillera. Car sur un bateau, neuf fois sur dix la « forme » n’est pas toujours respectée ! Mieux vaut ne pas souffrir de susceptibilité, sinon ça devient vite insupportable.

Cap sur Antibes pour une première étape. S’assurer que tout le matériel électronique fonctionne bien, que la grande voile et le génois se déroulent et s’enroulent correctement, que les drisses ne s’emmêlent pas à mauvais escient, bref que tout roule !

Cela nous permettra de passer une soirée avec Nono qui, très gentiment, nous a déjà trouvé une place au port.

Bon nous n’en sommes pas là.

Pour l’instant, le vent souffle, malheureusement de face, ce qui nous empêche de hisser les voiles. Les moteurs tournent et le bateau monte et descend en suivant le mouvement des vagues qui sont de plus en plus fortes. Malgré le tangage incessant, je ne souffre pas vraiment du mal de mer juste un peu brassée. Serait-ce mes petits bracelets magiques ? Charles se marre, moi je médite !

Le froid s’intensifie, la mer devient de plus en plus agitée. Impossible de profiter du paysage. La journée se passe lentement dans des conditions difficiles. Nous comprenons que nous n’arriverons pas à Antibes ce soir.

On se rabat sur le port de Sainte-Maxime. Une fois amarré, l’Alcazar, nous offre un peu de calme. On se remet doucement de cette première journée où on a été

bousculé et tiraillé dans tous les sens. Évidemment, j’aurais préféré une première journée un peu plus calme et plus ensoleillée ! Mais bon, tout va bien.

Je suis capable de savourer pleinement tout ce que je vis. Et le plaisir d’être avec mon Capitaine me rend heureuse et me fait vite oublier les petites mésaventures.

On se ballade un peu sur le port et on prend le temps de diner dans un petit restaurant, histoire de se revigorer.

La nuit sera confortable et chaude, heureusement que notre petit chauffage marche bien et que le port nous offre l’électricité. Je rêve de soleil pour le lendemain.

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Mardi 5 avril

Départ dès que le jour se lève pour Antibes. On y croit. Nono nous attend avec les huîtres et le champagne ! Mince on ne va pas louper ça ? Et pourtant… Nous n’irons pas bien loin. Quelques milles dans une mer mouvementée, écumeuse à souhait, un vent fort et glacé. Nous nous réfugions à Saint-Raphaël.

C’est Nono qui fera le voyage avec le repas et le champagne dans un panier. Tellement gentil.

Nous passons une soirée très sympa, avalant et buvant… de très bonnes choses ! Cette soirée devrait être la dernière avant la traversée vers le cap corse. Car, parait-il demain soleil et le calme devraient prendre la place du mauvais temps. Ouf !

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Mercredi 6 avril

Enfin le ciel est dégagé et le vent souffle doucement. Le jour se lève avec la promesse d’un joli soleil. Nous pouvons mettre le cap sur la Corse. J’ai bien examiné les différents sites de météo maritime et particulièrement un, Windfinder, spécialisé dans le suivi des courants des vents du monde entier. Des tas de petites flèches de couleurs différentes, suivant la force du vent, vont être mon obsession à chaque départ ! Pour me sécuriser. Sauf que ça ne me sécurise pas toujours !

Bon, on largue les amarres, sans souci, et à la sortie du port on peut enfin hisser la GV et dérouler le génois ! Première fois ! Je sens le bateau qui glisse presque en silence, poussé par le vent. Sensation vraiment incroyable. On atteint enfin les 5 nœuds ! Pas de quoi s’enflammer mais pourtant quelle excitation. La mer est encore un peu agitée mais au fil des milles elle devient plus tranquille, les moutons l’abandonnent enfin. Je m’occupe des pare-battage sans stress puisque je tiens bien équilibrée sur mes deux jambes.

On devrait accoster à Macinaggio, petit port du cap corse, jeudi matin après une nuit de navigation. Encore une première fois.

Mais c’est sans compter sur les caprices d’Éole. Il décide on ne sait pas pourquoi de ne plus souffler !

On affale les voiles, on démarre les moteurs et on avance difficilement à trois nœuds. A ce rythme on ne sera pas en Corse avant deux ou trois jours ! Le soleil se couche sur une mer d’huile. Je n’ai jamais vu ça. On se prépare une soirée tranquille. Comme c’est bon de ne pas tanguer comme des fous. Mais comme c’est long quand on n’avance pas !

J’installe notre canne à pêche toute neuve achetée à Saint-Raphaël : magnifique moulinet qui brille de mille feux, leurre d’un jaune fluo qui, nous a dit le super pêcheur-vendeur, devrait attirer toutes les dorades coryphènes de la mer. Allez, je me lance … hop dans le sillage de l’Alcazar ! Persuadée de remonter notre dîner, je suis d’un optimisme joyeux !

Un petit groupe de dauphins glissent à toute vitesse à côté du bateau. J’imagine que nous n’allons pas assez vite pour qu’ils aient envie de jouer dans notre sillage. Pas de chance ils disparaissent comme ils sont apparus.

Dans l’après-midi, un petit compagnon nous arrive : une petite alouette décide de se reposer sur notre bateau, certainement épuisée par une longue migration. Elle s’approche si près de nous que nous pouvons presque la caresser ! Elle mangera les petits insectes qui tombent du ciel on ne sait pas comment puisqu’on est au milieu de la Méditerranée ! Elle s’endormira cachée vers le mât. Mais elle ne survivra pas au froid de la nuit… Tristesse.

En fin de journée pas de poisson, pas de baleine et pas de vent !

Mais un magnifique couché de soleil sur une mer d’huile.

On ne peut pas tout avoir !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
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Jeudi 7 avril

La première nuit en pleine mer s’achève. Je suis crevée, pas encore habituée à ces sommeils entrecoupés. Couchée vers 21h30, je somnole plus que je ne dors. Trop peur que Charles tombe à l’eau et me laisse seule aux commandes ! Pourtant la mer est très calme puisque le vent s’est éteint définitivement. Mais quand même je ne suis pas tranquille ! Je sais ce qu’il faut faire bien évidemment à la vitesse grand V : appuyer sur la touche « Homme a la mer » sur le GPS

  1. Lancer la bouée
  2. Affaler les voiles
  3. Mettre les moteurs en route
  4. Faire demi-tour
  5. Récupérer le naufragé

Je ne suis pas vraiment sûr de l’ordre ?

Quand la mer n’a pas une ridule, quand le vent est lettre morte cela ne devrait, je dis bien ne devrait pas poser de problème.

(Les voiles sont de toute façon affalées et les moteurs déjà en route !)

Mais je n’ose pas imaginer si la mer est démontée par un vent devenu fou ! Faire tout ça en un temps record est impensable et ajouter à ces manœuvres ma panique… ! Là, mon Capitaine, je ne donne pas cher de votre peau ! Non seulement vous disparaissez en mer mais, moi, je fais quoi toute seule ????

Je prends le relai vers minuit : écouteurs dans les oreilles, le « Requiem » de Mozart me file des frissons. Musique prodigieuse dans cette immensité, quoi de plus beau ? Je devine les dauphins jouant autour du bateau mais la nuit est tellement noire que je ne vois rien, j’entends seulement leurs plongeons incessants ! La lune me manque.

Je réveille le Capitaine vers 4h30. Un énorme container, toute en illumination, s’approche et je suis incapable de me rendre compte de la distance. Déjà en plein jour il n’est pas facile de l’évaluer, alors, là, dans une nuit sans lune, je panique !

Charles me remplace, encore tout ensommeillé.

Je prépare un bon thé chaud car je suis frigorifiée. Les nuits sont vraiment froides et très humides. Nous ne sommes qu’en avril et ça se sent !

Nous apercevons en début de matinée la côte corse et nous sommes surpris de voir que le GPS nous indique minuit comme heure d’arrivée. Pourtant on la voit, là, pas si loin que ça !

Je croise les doigts, supplie Éole de se mettre au boulot, rien n’y fait : toujours « pétole ».

La canne à pêche nous nargue gentiment : le leurre ne plait pas. La couleur est-elle trop criarde ? On décide de changer de « rapala ». Celui plus classique, plus discret, dans les tons de gris irisé et bleu fera peut-être mieux l’affaire ?

La journée se poursuit aussi calmement que la veille. La fatigue se fait sentir et il me tarde de hisser à nouveau les voiles. Le ronronnement du moteur, parfois, nous pèse. Alors, on le coupe et on écoute le silence de la mer. C’est magique, mais carrément du sur place ! A ce rythme on touchera la Corse dans trois jours !

On redémarre les moteurs.

Enfin, vers 21 h on longe le cap corse. La lune est toujours invisible, la nuit totalement noire ne facilite pas notre avancée. Nous sommes entourés de rochers, leurs ombres sombres sont angoissantes. Le capitaine suit les informations du GPS qui pourtant semblent très curieuses. Les moteurs au minimum, je me mets à l’avant, scrutant le noir. Je cherche à deviner quelque chose mais rien. Rien, je n’y vois RIEN. J’entends juste comme le bruit de vagues sur une plage. Juste le temps de dire «je crois qu’il y a une plage pas loin, on va peut-être s’échouer sur un banc de sa..»

Et là, « scraaaacht… » L’Alcazar s’arrête net. Coincé de chez coincé ! Charles observe avec notre lampe électrique le fond de l’eau : le bateau repose sur des rochers d’une rondeur toute féminine ! Heureusement, sinon… je n’ose pas imaginer.

Incroyable le GPS a perdu la boule ! (Nous apprendrons dès le lendemain que des anomalies électromagnétiques perturbent le passage du cap corse. Tout s’explique.)

État des lieux, rien à signaler, aucune avarie. Ouf !

Plusieurs essais du Capitaine pour sortir son catamaran de cette impasse : marche avant, marche arrière de nombreuses fois, sans succès. Rien n’y fait. Rien que l’idée de se faire dépanner par les Corses lui enlève tout sourire. Le silence de Charles m’indique qu’il « carbure » à fond la caisse pour trouver une solution. Seulement là, aucun résultat. On essaie de se reposer : la nuit va être très difficile. Peur de nous endormir et d’échouer sur les gros rochers alentours dont nous distinguons les ombres.

Je me fais silencieuse. Pas besoin de paniquer, j’ai une grande confiance en lui et ça fait une énorme différence ! Je sais que la solution ne viendra pas de moi, c’est une évidence…

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Vendredi 8 avril

Le jour commence à se lever, doucement. L’Alcazar n’a pas bougé d’un centimètre et Charles se lève, fatigué par cette nouvelle nuit quasi blanche : « J’ai la solution ». Trois petits mots bien réconfortant. Il préconise d’attendre la prochaine marée qui, d’après ses calculs devrait être au maximum vers 9h30. (Même si les marées de la Méditerranée sont assez faibles, elles ont le mérite d’exister !) Je lui demande comment il peut savoir. « Je regarde, J’observe… » me répond-il. Ok, Ok.

« Je vais aller jeter l’ancre, avec l’annexe, à quelques mètres à l’arrière du cata pour pouvoir tirer le bateau vers l’arrière avec le guindeau. Quand la

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marée sera à son maximum, je lèverai l’ancre, mettrai les moteurs en marche. Tous ces éléments devraient décoincer le bateau. »

Je regarde autour de nous : nous sommes dans un tout petit passage entre plusieurs rochers acérés et une plage de cailloux. Je n’ose pas imaginer ce qui aurait pu se passer. Ça me fait froid dans le dos et je reviens vite à ce qu’il faut maintenant faire. J’écoute les « ordres » et obéis !

Après plusieurs tentatives, bingo ! Enfin l’Alcazar bouge doucement pour enfin

se libérer totalement, aidé par un petit vent d’ouest qui a eu la bonne idée de nous donner un coup de main !

Ce qui m’a occasionné quelques sueurs froides car, Charles étant sur l’annexe, j’étais seule et je voyais les rochers s’approchaient dangereusement de nous. « Prends la barre et fais au mieux ! » Ben voyons rien de plus facile…

Je surveille, prête à manœuvrer si besoin est mais jetant de rapides coups d’œil vers l’annexe, histoire de la faire revenir plus vite.

Heureusement le Capitaine a rejoint le bateau aussi vite qu’il a pu et je lui ai rendu la barre avec grand plaisir. Après un stress intense, un immense soulagement. Stress très bien géré par le mousse dixit le capitaine !

Bon, comme Chaaaaarles le dit très justement c’est l’aventure et c’est plus enrichissant que de se faire bronzer sur notre trampoline. On peut voir les choses comme ça, en effet ! Je ne suis pas contre les expériences intéressantes mais quand même pour les premiers jours de navigation, ça démarre fort !

Le port de Macinaggio est seulement à une dizaine de minutes. On l’aperçoit au loin. Le vent souffle maintenant assez fort, venant de l’ouest ce qui, je présume, ne va pas arranger l’amarrage. En effet.

Heureusement un couple de jeunes belges nous aide à manœuvrer. Il fallait bien être quatre pour accoster ce fichu catamaran de six tonnes ! Encore une fois, je suis stupéfaite de ce que fait Charles avec des rafales à 20 nœuds ! Succession de manœuvres, jeu de moteurs, pour arriver à se mettre à quai. Moi, toujours obéissante, j’enlève dans l’urgence les pare-battages gauche pour les mettre tous à droite, passe les bouts aux amis belges et courre d’avant en arrière !

Une fois bien amarré, une heure et demi plus tard, toutes les vérifications faites, direction la capitainerie pour les papiers.

Je suis lessivée. Non seulement les trois dernières nuits ont été courtes mais difficiles. Et le stress n’a pas arrangée la fatigue. Nous organisons notre petit passage aux douches bien chaudes avec grand plaisir. Il s’agit d’être bien organiser pour ne rien oublier : savon, serviettes, affaires de rechange etc…

Une fois propres et détendus, nous posons enfin nos fesses dans un petit resto sur le port. Un bon petit verre de vin rouge finit de nous redonner la pêche ! Comme c’est bon de se détendre…

Nous restons à Macinaggio deux jours. La pluie incessante et le vent violent nous empêchent de reprendre la mer. Repos et repos… bien mérité.

Dimanche 10 avril

Un ciel nettoyé par ces deux jours de pluie, d’une limpidité incroyable, nous incite à larguer les amarres dès l’aube. Cap sur l’île d’Elbe. Nous laissons Macinaggio derrière nous, éclairé par les rayons d’un soleil tout neuf.

Il ne fait pas chaud, le vent est absent, aucun nuage dans le ciel. Les moteurs ronronnent.

Nous hissons le drapeau italien. Il remplace le français dont nous n’avons plus besoin.

Entre la Corse et l’île d’Elbe nous croisons un grand nombre de cargos, énormes, un dauphin et deux requins. Ça me fait froid dans le dos de me dire que des requins nagent dans le coin. Mais bon, n’allant pas dans l’eau, je passe vite à autre chose.

L’archipel toscan dont font partie les îles de Gorgone, Capraia, Elbe, Pianosa, Giglio, Monte-Cristo et Giannutri s’étire entre la Toscane et la Corse dans la mer Tyrrhénienne.

Nous dépassons, l’île de Capraia, sans nous arrêter.

Nous chercherons un mouillage sur l’île d’Elbe plutôt qu’un port. Je regarde sur la carte marine et « Barbatoia – Fetovaia » se trouve du côté sud-est, ce qui convient à notre direction future.

Elbe, je ne connais de cette île que le passage assez court de Napoléon. Petit retour sur l’histoire… Suite à la défaite de Leipzig et déchu de ses droits souverains, les anglais lui firent choisir un lieu d’exil, Corfou ou l’ile d’Elbe. Il préféra Elbe, « pour la douceur des mœurs de ses habitants et la bonté de leur climat » et y exerça pendant quatre cents jours sa souveraineté en y apportant de nombreuses innovations. Napoléon arriva à unifier pour la première fois cette île et y laissa une empreinte que les habitants n’oublièrent jamais. Organisation militaire, économique et sociale, amélioration du système routier pour relier entre eux les différents villages de l’île, rénovation de palais…

Napoléon, désirant reconquérir la France, organisa son évasion avec l’aide de ses soldats. Il quitta l’île d’Elbe le 26 février 1815 et débarqua à Golfe-Juan le 1er mars. Il prit la fameuse route qu’on appelle « route Napoléon » jusqu’à Grenoble et le 30 mars il entra à Paris. Il y aura ensuite la bataille de Waterloo et l’exil à Sainte-Hélène.

Napoléon est bien loin. Nous nous rapprochons d’Elbe. Le soleil brille mais sur le bateau nous n’avons pas chaud. Le vent ne soufflant pas comme nous le souhaiterions, nous finissons par jeter l’ancre onze heures plus tard ! Mais le spectacle en valait la peine. C’est tout simplement une baie magnifique.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
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Nous sommes seuls. C’est incroyable. Nous descendons l’annexe et allons faire un tour sur la terre ferme : tout est fermé, pas un endroit où nous pourrions boire un petit verre de vin ! Seuls au monde ! Que demander de plus ?

Retour sur l’Alcazar. Nous préparons notre itinéraire du lendemain, ivres de cette si belle journée. Le silence de la nuit nous enveloppe d’une douceur invraisemblable. Profitons-en, j’imagine que nous ne vivrons pas ce moment deux fois.

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Lundi 11 avril

5h30, le réveil sonne, sur le pont une vue magnifique : le ciel rose et mauve nous accompagne quand nous levons l’ancre. En rangeant les pare-battages, je profite à fond du lever de soleil, exceptionnel. Mon Dieu que c’est beau !

Nous prenons la direction de l’île de Giglio, à une quarantaine de milles nautiques, au sud-est de l’île d’Elbe. Au cœur de l’actualité en janvier 2012, quand le « Concordia », paquebot de croisière transportant plus de quatre mille passagers, s’est échoué sur un récif au nord du port de Giglio. La catastrophe avait fait plus de trente victimes.

Le vent souffle mais malheureusement pas dans la bonne direction ! Le Capitaine est obligé de tirer des bords, ce qui ne sera pas concluant car le catamaran dérive trop et nous n’avançons pas !

Nous nous approchons de l’île de Monte-Cristo, au sud de l’île d’Elbe et à l’ouest de Giglio. Pour la petite histoire, Alexandre Dumas, en 1842, trouva le titre et l’inspiration de son roman lors d’un voyage dans l’archipel toscan en faisant le tour de l’île de Monte-Cristo.

Aujourd’hui cette île montagneuse est dés-habitée, seuls quelques gardes forestiers y séjournent. Elle a été déclarée « Réserve Naturelle Nationale Intégrale » et seules mille personnes, exclusivement des scientifiques et des associations naturalistes peuvent la visiter. La pêche, la navigation et la baignade y sont interdites dans un rayon de un kilomètre autour de ses côtes.

Bien entendu, nous ne l’approcherons pas de trop près !

Le Roi du monde ne semble-t-il pas heureux ?

Le temps se gâte et les rafales de vent atteignent les vingt-cinq nœuds. La mer devient très agitée et les vagues nous bousculent de plus en plus. (Je ne quitte pas mes petits bracelets miracles.) Nous serons obligés d’enrouler le génois à moitié et d’affaler la GV.

La Corse au loin, nous dévoile ses sommets enneigés et le spectacle est magnifique. Par contre aucun poisson ne s’approche de notre ligne ! C’est démoralisant.

Difficile de penser à autre chose quand les vagues, grossies par un vent de plus en plus fort, nous soulèvent et hop nous redescendent, comme si nous étions des pantins dans un ascenseur sournois !

Je regarde le Capitaine, calme comme d’habitude, imperturbable et concentré à barrer et régler la voilure en même temps. Je commence à penser à notre arrivée au port de Giglio. Pourvu qu’on y arrive avant la nuit.

La météo annonçant un vent allant de 20 à 25 nœuds, je n’aimerais pas finir comme le Concordia. Mais toutes ces pensées négatives, je les garde pour moi, sachant que Charles ne les apprécie pas et surtout pense qu’elles ne servent à rien. Évidemment ! Il a raison. Mais comment les empêcher de venir embêter ma petite tête ?

Où s’est donc cachée la « douce vie » de ce matin ? Je ne sais pas et je n’arrive pas à la retrouver !

Fin de journée très difficile : mes bracelets me « lâchent » un peu mais je ne me résigne pas à les jeter par-dessus bord. Gros vent, vagues ennemies et changement de bord. A chaque fois le stress s’installe : j’obéis aux ordres, parfois me trompant de cordes (bleue ou rouge) le génois claquant au vent dans un bruit épouvantable et le Capitaine me regardant avec des yeux assassins !

Pas de chance, notre arrivée au port de Giglio se fait dans la nuit noire, les nuages cachant les étoiles et un tout petit bout de lune. Nous apercevons la plateforme toute illuminée qui a été utilisée pour sortir le Concordia de son lit de mort. Le cata file doucement. Pas facile de se frayer un chemin quand on n’y voit rien. Le GPS nous guide et je croise les doigts pour que la zone ne soit pas perturbée comme au cap corse.

Jusque-là, tout va bien !

Amarrage une nouvelle fois stressant pour moi mais j’arrive à exécuter tout ce que je dois faire dans un calme relatif. Ouf ! À 23 heures, tout est fini. Je suis lessivée par cette journée et ne souhaite qu’une chose : mon lit ! Pourtant j’ai du mal à m’endormir. La curiosité de découvrir ce nouvel endroit me titille.

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Mardi 12 avril

Après une bonne nuit, nous décidons de rester à Giglio pour la journée. La météo est trop mauvaise pour repartir. Le vent du sud souffle très fort et la mer doit être bien agitée.

Nous partons nous balader et boire notre petit café. Le soleil tarde à apparaître mais ce petit port est charmant, très coloré comme souvent en Italie.

Encore un peu de stress pour moi car nous devons changer de place mais finalement tout se passe bien. Nous pouvons donc tranquillement envisager notre journée.

Balade vers le château situé sur la colline qui nous offre une très jolie vue sur le port.

C’est bon de retrouver les sensations de nos pieds qui avancent sur la terre ferme !

La journée se passe paisiblement. Nous en profitons pour faire quelques courses sur le marché : tomates, mozza, basilic et thon frais dans la bonne humeur italienne ! Je me régale d’avance.

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Mercredi 13 avril

Départ de Giglio à 6h30. Malgré le brouillard et le froid nous décidons de continuer notre route. La météo devrait s’arranger dans les prochaines heures. La sortie du port est bien mouvementée : grosse erreur de ma part au moment de partir. Je me suis trompée dans le sens de mon bout et l’amarre ne passait plus dans l’anneau bien trop petit du quai. Impossible donc de larguer les amarres ! On ne m’y reprendra plus ! Le Capitaine aux commandes, marche avant, marche arrière, il me hurle de sauter sur le quai détacher ce fichu bout. Mais bon, comment ? J’hésite car le bateau est beaucoup plus haut que le quai. Je finis, sous les cris de Sieur Charles, par m’élancer. Dans ce sens, ça peut aller, un peu juste mais j’y arrive. A toute vitesse je défais le nœud et mon cerveau, en tirant sur le bout, se demande comment je vais procéder pour remonter sur le bateau. Pendant ce temps, Charles essaie de maitriser le bateau pour venir me chercher. Mais Bon Dieu comment vais-je faire pour sauter aussi haut sur ce bateau qui avance mais qui recule dès que le quai se rapproche ?

Je regarde bien l’avant de l’Alcazar drôlement plus haut que le quai et je pense que je ne vais pas y arriver. Je me vois tomber dans cette eau glaciale et j’en ai des frissons d’horreur. Je comprends parfaitement toute la difficulté de sa manœuvre mais pourrait- il juste comprendre que je ne suis pas équipée de ressorts ? Je prends, comme je peux, tout l’élan dont je suis capable et je m’envole littéralement !

Enfin, je me retrouve sur ce catamaran que, là, je déteste, les larmes aux yeux, pleine de colère. C’est vrai, quoi, j’ai soixante ans, et une semaine de navigation !

Faudrait peut-être que le Capitaine en soit conscient ???

On sort enfin de ce fichu port et là… gros vent d’ouest qui se lève et fait d’énormes creux ! Je me dis que c’est MA journée !

20-25 nœuds ! Difficile de se tenir debout, je m’accroche à ce que je peux quand je dois bouger d’un point à un autre. Décrocher et ranger les pare-battages m’ont pris beaucoup d’énergie et je suis déjà fatiguée en milieu de matinée !

On met le cap au sud sur l’île de Ponza, archipel des Pontines, il faut penser à faire une grande distance, la Croatie est encore très loin et il nous reste un paquet de milles à faire !

Une nuit de navigation sera donc nécessaire pour avancer.

Heureusement en fin de matinée, le vent tombe et la mer se calme. Juste une grosse houle qui continue à nous bringuebaler, avec cette impression d’habiter sur un « grand 8 ». Je retrouve le sourire et ma bonne humeur.

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Giannutri, la plus méridionale des îles Toscanes se situe en face du Promontario de Monte Argentario sur la côte Ouest de l’Italie.

Nous ferons une petite halte pour déjeuner sur l’île de Giannutri dans une crique sympa. Le mouillage parfait a été long à obtenir mais nous y sommes arrivés et avons pu savourer notre tranche de thon grillé accompagné d’un très bon rouge.

Cette île est surnommée « l’île des goélands » en raison des nombreux couples de goélands qui viennent nidifier sur ses côtes.

Habitée uniquement l’été, elle abrite des vestiges romains importants. Notamment la villa romaine d’Agrippine, la mère de Néron. Selon une légende, elle aurait consulté des mages chaldéens qui lui auraient prédit que son fils régnerait mais qu'il tuerait sa mère.

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Elle leur aurait répondu : « Qu'il me tue, pourvu qu'il règne ». Peut-être est-elle venue sur cette île pour attendre la prédiction en paix ?

Nous quittons cette île en forme de demi-lune, pour reprendre notre direction. On avance d’une bonne vitesse, le catamaran glisse doucement et régulièrement. Dans l’après-midi, le vent forcit et devient à nouveau très violent. La mer devient de plus en plus agitée, je recommence à sentir cette peur qui me dérange et me fait mal. Comme je déteste cette sensation que je n’arrive absolument pas à maîtriser !

Peur de quoi en fait ?

De mourir, là, dans l’eau, noyée, étouffée. C’est bête, je le sais bien et Charles m’a suffisamment répété que l’Alcazar pèse près de 6 tonnes et qu’il ne se retourne pas facilement ! Je tente de me raisonner mais sans succès.

Cette peur incontrôlable agace mon Capitaine et il a du mal à comprendre. Je bute sur son intransigeance mais je sais qu’il ne changera jamais. Et ma peur à moi, elle, elle peut changer ?

Peut-être avec un peu plus d’expérience. En tout cas c’est ce que je peux me souhaiter de mieux !La beauté de la nature me coupe le souffle. Le soleil se couche à l’horizon dans un mélange de couleurs rose et bleu, absolument magnifique.

Je suis émue de tant de beauté.

Mon cœur se serre et les larmes retenues par tant de stress, débordent maintenant. Je laisse faire…

Nous nous préparons pour une nuit de navigation. J’aimerais tant que le vent se calme, que la mer bouge moins. La nuit, l’angoisse est décuplée. Impossible de dormir tellement j’ai peur que Charles tombe à l’eau. J’ai beau savoir ce que je dois faire dans un cas semblable, je sais que je ne pourrais pas le sauver : dans la nuit noire avec le vent, les vagues, impossible sans paniquer et perdre du temps de baisser les voiles, mettre les moteurs en marche et faire demi-tour pour le récupérer. Je crois que je serai tout juste capable de lui lancer la bouée. Et encore !

La mini tempête me paralyse presque et heureusement que le pilote automatique fonctionne bien. Il est très difficile de barrer quand le vent est très fort. On se relaye. Je préfère l’aube. Le moment où le jour se lève.

**********

Jeudi 14 avril

La nuit a été très difficile. Nos soixante ans se font sentir ! Je prends la barre avec un vent qui descend à 10-15 nœuds. Régulier.

Une grosse houle remplace les vagues. Le bateau surfe. Ma peur se dissipe.

Au loin, on distingue l’île de Ponza qui fait partie de l’archipel Pontin dans la mer Tyrrhénienne.

Ulysse y a vécu une belle histoire d’amour avec la magicienne Circée qui l’avait ensorcelé pour le garder auprès d’elle une année durant. On peut comprendre que tant de beauté l’ait retenu et que son retour à Ithaque ait pu attendre !

L’arrivée par la mer est tout simplement magnifique : falaises de pierre blanche, jaune et noire d’une beauté pure et brute, énormes rochers surgissant des flots, grottes, criques désertes accessibles uniquement par la mer. Tout est majestueux.

L’eau, comme par miracle, décline toute la gamme des verts émeraude et céladon et des bleus turquoise et saphir.

N’est-ce pas l’endroit idéal pour se dire « Heureux qui comme Ulysse… »

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Le catamaran se faufile entre ces nombreux rochers et je vois l’empreinte d’une immense main, comme un salut en signe de bienvenue.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Bientôt, au détour d’une nouvelle falaise, se cache une partie de la ville de Ponza, comme déposée au creux d’un rocher. Les maisons encastrées les unes aux autres, en forme de cubes pastel présagent un envers de décor magnifique. J’ai les yeux grands ouverts et j’attends le spectacle.

Effectivement, nous ne sommes pas déçus. Le port est ravissant : façades ocre et roses surplombant les quais en demi-lune, fouillis colorés de petites et grosses barques qui semblent se fondre les unes aux autres.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

J’aimerais rester là, à contempler cette jolie image, mais il faut bien préparer l’accostage : vite les pare-battages (nouvelle experte en nœuds, je ne suis plus stressée par cette « activité » !), regarder quel italien va nous guider : il est là, il crie, gesticule pour nous faire comprendre l’endroit exact où il veut nous « mettre » pour la nuit. Je ne comprends RIEN ! Mais Charles maitrise la situation, toujours calme, il a l’air de tout comprendre ! Pourquoi il sait tout faire lui ?

Moteurs coupés, bouts bien amarrés, pare-battages installés, tout va bien. Juste un petit souci le quai est drôlement haut, il va falloir faire un sacré grand écart !

Nous le ferons sans problème, la faim nous tenaillant !

Petit resto sympa suggéré par l’italien qui nous a accueillis avec grands gestes. Il ne s’est pas moqué de nous : succulent et pas cher ! Comme quoi la caricature de l’italien légèrement escroc n’est pas d’actualité.

En me glissant sous la couette, ce soir-là, je me sens contente. Cet instant me semble une véritable récompense bien méritée après cette journée particulièrement difficile. Le vent trop fort, la mer démontée, la peur… tout me parait loin et pourtant.

Nous nous endormons très vite et je suis réveillée en sursaut, le cœur battant la chamade : quelqu’un est monté sur le bateau. J’entends des pas. Je ne sais pas quelle heure il peut bien être mais je crève de trouille. (Décidément, je deviens une vraie froussarde !) Charles bondit du lit et sur le pont se trouve nez à nez avec un pêcheur qui avait coincé son hameçon à l’avant du bateau. Il ne sait plus s’il doit dire bonjour ou bonsoir, encore perdu dans les profondeurs de son sommeil. Donc rien de grave et une super bonne nouvelle : c’est le soir, on peut encore dormir !

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Vendredi 15 avril

Le réveil sonne vers six heures. Thé bien chaud avant de monter sur le pont préparer notre départ. Il fait super beau, le jour commence à se lever mais le soleil n’est pas encore là.

Nous vaquons chacun de notre côté à nos occupations : Charles, les moteurs et moi les bouts. Aucun problème, l’Alcazar démarre doucement.

Nous quittons le port de Ponza en même temps que le soleil se lève. Un dernier regard sur ce village si paisible et si joli. Éclairage exceptionnel, brise légère. Je savoure.

Petit vent d’est. Très vite, le vent forcit à 10-15 nœuds et nous coupons les moteurs. Nous naviguons à bonne allure. La direction de la houle nous aide. J’ai l’impression que tout glisse. Enfin on se pose tranquillement. La canne à pêche à nouveau installée, qui attend.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

La tranquillité, le calme m’invite toujours à penser, à réfléchir. Je repense à ce qu’a été ma vie jusqu’à présent, aux choix que j’ai faits tardivement mais que j’ai faits et pas toujours facilement. Pourquoi les choses sont-elles toujours difficiles à comprendre ? Pourquoi nous faut-il tant de temps pour décortiquer nos malaises et nos difficultés à vivre ?

Déchiffrer, interpréter les bagages que l’on transporte de générations en générations, comprendre la responsabilité de nos parents sur notre vie future.

Depuis quelques années je me rends compte de toute la difficulté de se sortir des schémas imprimés depuis presque toujours dans tout être humain. J’ai cette chance extraordinaire d’y être parvenue et de pouvoir depuis quelques années vivre pleinement en accord avec moi-même.

Pourquoi nous faut-il, généralement, des déclencheurs difficiles et douloureux pour enfin avancer dans sa vie en toute sérénité ?

Le doux bruit des vagues facilite l’introspection ; je vogue aussi à l’intérieur de moi. Sensation particulièrement douce.

Bercement des vagues, je ferme les yeux et il me vient à l’esprit un moment particulièrement fort et intense de ma vie. Lointain aussi. Mais qui, à cet instant ressurgit et prend toute la place. Par un soir de détresse profonde, j’ai eu cette envie terrible de quitter la vie et de rejoindre mes parents qui, partis trop tôt, m’avaient laissé un goût de désespoir infini. Je me sentais tellement seule, oubliée et abandonnée de ceux qui devaient pourtant me montrer le chemin de la vie. Je m’efforçais de vivre et de faire au mieux dans cette vie qui me faisait tant souffrir. Je me donnais entièrement à l’homme que j’aimais mais qui me traitait bien mal, espérant recevoir l’amour qui me manquait tant.

L’envie de mourir me tenaillait mais l’idée de laisser ma petite fille de 7 ans m’était insupportable. Je ne voulais surtout pas qu’elle souffre de l’absence de sa maman comme j’en souffrais, moi, depuis de nombreuses années. Je savais que le vide laissé ne se comblerait jamais.

Maman un jour a lâché prise. Engluée dans une profonde dépression que plus rien ne pouvait guérir. Ni traitements chimiques, ni cures de sommeil. Ni ses cinq enfants. La vie, sans l’homme qu’elle aimait, n’avait plus aucun sens pour elle.

La mélancolie qui la rongeait était insoutenable et incurable. Elle ne se rendait pas compte des conséquences de son geste sur ses enfants. Comment pouvait-elle, puisqu’elle n’était déjà plus là ?

Comment juger cette souffrance ? Quand la douleur vous ronge jusqu’à l’os, jusqu’à ne plus rien sentir, pas même le plus petit souffle de vie qui pourrait rallumer la flamme. Flamme d’espoir dans ce monde si noir ? Petite Maman, que ta souffrance me fait mal aujourd’hui encore. Ta vie s’est arrêtée parce que tu l’as décidé ainsi. Il te restait un soupçon de confiance que tu nous as offert, nous tes filles ainées, en nous demandant de te remplacer auprès de tes trois jeunes enfants. Mais qui peut remplacer une mère ?

Aujourd’hui, je suis bien vivante et je savoure les instants que la vie m’offre. Je ne renie pas tout ce que j’ai vécu jusqu’à aujourd’hui car mon passé a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Et c’est une belle aventure qui finit bien.

Nous avons mis le cap sur l’île d’Ischia, située dans la baie de Naples. Elle fait partie, avec les îles de Procida et de Capri, de l’archipel Campanien et elle abrite de nombreuses cures thermales prisées par les napolitains. Si tout va bien, nous y serons en fin de journée. Quelques dauphins viennent nous tenir compagnie. Je redeviens, à chaque fois, une petite fille émerveillée. Pourquoi les dauphins nous font-ils cet effet ?

Le Capitaine apprécie le beau temps, son bateau file bon train. Il peut prendre du bon temps et savoure café et …cigare, ramené de Cuba. Enfin ! Il en rêvait de ce moment ! Depuis si longtemps !

La journée se passe tranquillement, je profite de la belle mer pour faire un peu de ménage et de rangement. Toujours pas assez chaud pour se déshabiller un peu. Pas encore le maillot !

Le vent diminue et change de direction assez souvent. Charles essaie de trouver la meilleure combinaison pour aller le plus vite possible avec les voiles et les moteurs. Pas facile. Sa patience me plait. Il me plait !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Ischia se rapproche et le trafic devient de plus en plus dense. De nombreux ferries qui font la navette entre Naples et Ischia, des containers, des cargos prennent la direction du port. Nous préférons changer de direction et être plus tranquilles. Pas la peine d’aller au devant de complications. En plus, le port semble immense !

On arrivera sur l’île de Procida, à une petite demi-heure d’Ischia, au coucher du soleil. Encore une fois le spectacle est magnifique.

Procida, beaucoup plus petite est, dit-on, la plus belle et la plus authentique du golfe de Naples. Encore une fois nous sommes super bien accueillis par le gardien du port de Marina Grande. Nous faisons dès notre arrivée le plein de gasoil et nous nous accostons ensuite sans problème. Nuit au port un peu chère, mais on devine, malgré la nuit qui tombe, une vue exceptionnelle sur le Vésuve surplombant la baie de Naples.

Avant d’avaler une bonne soupe, douches. Chacun dans un bâtiment. Je mets mon petit jeton dans la boîte pour avoir de l’eau chaude, c’est bon de sentir l’eau couler à flot. Je me réchauffe et profite de ce moment détente. Propre comme un sou neuf, je me dirige vers la douche « homme » où mon Capitaine devrait avoir terminé. Mais pas du tout ! Impossible de faire descendre son jeton dans la boite ! Pas de jeton, pas d’eau ! Nu comme un ver, il ne peut pas faire grand-chose. Pas de panique, je vais chercher du secours. A la recherche du gardien je baragouine quelques mots et sauve mon Chaaarles.

J’aime ces moments de fous rires qui nous font oublier nos soixante ans et la fatigue qui va avec.

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Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Samedi 16 avril

Nous nous réveillons, comme toujours très tôt et heureusement. La vue que nous avons du pont de l’Alcazar est époustouflante. Le Vésuve, noyé dans un ciel rose, mauve et bleu, attend le soleil qui ne devrait pas tarder.

La Marina Grande garde un charme méditerranéen tout en couleur. C’est dans ce décor exceptionnel qu’a été tourné « Le Facteur », un très beau film retraçant l’amitié entre Pablo Neruda en exil (incarné par Philippe Noiret) et un modeste facteur italien (Massimo Troisi).

Bien avant, Lamartine y séjourna quelques mois. Il raconta ses amours adolescentes avec une jeune italienne dans son roman « Graziella ».

L’Alcazar, sagement accosté à la Marina, côtoyant les barques des pêcheurs, rangées dans un désordre bien organisé et assorties aux tons pastel des maisons. Les constructions sont généralement peintes avec des couleurs bien définies, de manière à ce que deux maisons voisines puissent difficilement avoir des teintes similaires. Selon la tradition,

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
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cette particularité viendrait d’un souhait des pêcheurs : ils désiraient pouvoir reconnaitre leur maison depuis la mer.

Nous devinons Naples au fond de la baie, et en commençant notre ballade sur le port. Nous nous rendons compte que tous les italiens que nous rencontrons sont vraiment adorables. Ils sont encore plus qu’italiens : ils sont NAPOLITAINS ! Ne disent-ils pas ? « Viva Napoli » et surtout pas « Viva Italia » !

En passant devant une petite échoppe débordant de fruits et de légumes très appétissants, les odeurs nous enivrent et nous donne une envie de tomates mozzarella basilic irrésistible. On ne rechignent pas sur une bonne bouteille de rouge.

Ne nous laissons pas abattre !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Espresso serré pour Charles accompagné d’un croissant marmelade, cappuccino et croissant chocolat pour moi. Le chocolat dégouline et me coule entre les doigts ! Comme nous apprécions ces bons moments !

Nous trainons dans les petites ruelles, faisons le grand tour du port et retournons au bateau nous préparer pour notre prochaine navigation qui sera une grosse traversée : direction l’île de Stromboli, à 130 milles nautiques de Procida. Arrivée prévue dimanche 17 avril en début de soirée.

Ainsi nous pourrions,si tout va bien, passer le détroit de Messine lundi dans la journée.

Nous sortons donc de ce joli petit port vers dix heures du matin, sans souci puisque le temps est au beau, le vent très faible, la mer calme.

Nous espérons tout de même que le vent s’intensifie un peu sinon la « route » va être longue !

Une belle journée s’annonce, la baie de Naples n’est pas vraiment propre, nous rencontrons de très nombreux sachets plastiques et des bidons flottant sur l’eau. Quel dommage !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

On approche de Capri, île mythique.

À partir du XIXe siècle, Capri devient une destination de villégiature pour l'aristocratie romaine, aux saisons où la température est trop élevée dans la capitale.

Elle deviendra, comme Saint-Tropez, une destination prisée de la jet set et accueillera de nombreuses personnalités de toutes nationalités. Dans les années soixante, Capri sera immortalisée par le film de Godard « Le mépris » avec Brigitte Bardot tourné dans la villa Malaparte. Et qui a oublié le fameux « Capri c’est fini » du chanteur Hervé Villard ?

Nous nous en approchons sans nous y arrêter : trop de monde, déjà au mois d’avril, de nombreux ferries et voiliers se disputent ce petit bout de mer ! Les napolitains s’y réfugient le weekend et nous sommes samedi.

Et pour nous Capri ne semble jamais fini

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Le vent est très léger, les moteurs restent éteints : le Capitaine ne tient pas à vider les réservoirs car la traversée jusqu’à Stromboli est longue ; et naviguer avec seulement le doux bruit des vagues est nettement plus agréable.

Charles nous prépare une superbe assiette italienne : l’odeur du basilic emplit mes narines. « J’ai faim » ! Royal ! Que demander de mieux ? C’est curieux de voir que la simplicité des tomates mozza peut atteindre les sommets de gastronomie !

Nous profitons du soleil et pour la première fois nous nous effeuillons ! Parkas et polaires au panier, nous osons shorts et tee-shirt. Cela durera seulement deux petites heures, mais c’est toujours ça !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

La journée se passe calmement, mélange de « pétole » et de légère brise.

Ah ! pour profiter du paysage, on profite ! La baie de Naples et ses îles ont du mal à nous « larguer » ! Capri est encore dans notre sillage, tout comme la canne à pêche d’ailleurs qui refuse tout contact avec l’individu poisson !

Le soleil se couche et c’est le moment d’un petit apéro bien sympathique : socca et vin rouge !

Ne nous laissons pas aller, le désespoir n’a rien de bon, sur une mer si belle !

Le jour tombe doucement et le clapotis des vagues sur les coques du cata me berce et me fait m’échapper…

Nous avançons vers une nuit étoilée et calme. La lune, à demi ronde, éclaire les crêtes des vagues qui s’étendent et s’allongent dans un rythme régulier. Nous nous relayons pour barrer. Musique dans les oreilles, toujours, pilote automatique, je surveille. On se remplace, et comme la mer est très calme, j’arrive à dormir un peu. Pas de risque que Charles tombe à l’eau !

Après un bon thé chaud, je le remplace à l’aube. La nature m’offre un nouveau lever de soleil, comme une récompense à cette nuit entrecoupée. Je préfère le jour à la nuit. Beaucoup moins angoissant même si la mer est calme. Un jour qui commence c’est l’espoir d’une nouvelle journée, pleine de surprises. J’aime cette sensation de nouveauté, de richesse qui peut se poindre à n’importe quel moment !

La maladie et ensuite la rémission m’ont offert cet optimisme que je n’avais guère avant. Voir toujours le bon côté des choses ou des individus que je rencontre, le verre à moitié plein… plutôt qu’à moitié vide. Ça change pas mal de choses.

Chaque matin qui se lève, quel qu’il soit, est un cadeau que la vie me propose. Un présent que je dois choyer car je sais son importance. J’aurais pu il y a tout juste quinze ans, ne plus voir le soleil se lever, ne plus entendre le rire inimitable des enfants, le chant des oiseaux, la pluie qui tombe…

Heureusement, j’ai échappé au pire. Depuis, ma vie n’a plus jamais été la même. Enfin, j’ai pu avoir la véritable « conscience » de vivre. J’ai compris que nous sommes toujours maîtres de nos choix. Toujours. Et ça change tout.

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Dimanche 17 avril

Le vent ne se lève toujours pas, juste quelques touches et la brise est si légère que la mer est douce et régulière. J’ai bien peur d’une nouvelle nuit en mer.

La journée s’étire. Charles se trouve une nouvelle activité. Il remarque, au loin, une énorme bouée. Ni une, ni deux, il vire de bord et se dirige droit vers sa cible ! J’essaie avec la gaffe d’attraper « la chose ». Ratée, pas facile de viser. Nouvelle tentative. Cette fois c’est lui qui s’y colle et évidemment il l’attrape ! Il prend du temps à la gratter de tous les petits coquillages avant de la remonter (pas facile, tellement elle est lourde) dans l’annexe du bateau. J’ai bien cru, plusieurs fois qu’il allait tomber à l’eau avec son nouveau joujou ! Après ce sport incongru, il mérite bien un bon cigare !

Tout va bien. Je savoure cette vie, ma vie. Je range et nettoie, prépare une bonne compotée de légumes. Je pense à mes enfants, mes petits-enfants. Ils me manquent et j’aimerais leur faire partager ces moments de joie et de découvertes.

Je souhaiterais qu’un jour, ils soient aussi heureux que je le suis et qu’ils comprennent que le plus important dans la vie c’est de bien se connaître. Chercher les causes de ses souffrances pour guérir et vivre en harmonie avec soi-même. Apprécier les moindres cadeaux que nous offre la vie et aller à l’essentiel. Pas facile mais cela vaut le coup d’être patient et vigilant.

Bon, je divague… revenons à nos moutons !

Stromboli se fait attendre. L’arrivée n’en sera que plus belle.

Nous nous préparons pour cette deuxième nuit consécutive. La fatigue est là et quand je passe devant le miroir je n’aime pas l’image qu’il me donne. Mais c’est comme ça.

Nuit calme, dauphins tournant autour du bateau, vite repartis. Beaucoup moins de stress puisque l’environnement est paisible. Je réclame pourtant Éole, Dieu des vents, et lui demande de faire un effort pour rejoindre au plus vite son île, puisque, selon la légende, il vivait sur Stromboli. Naviguer entre ces sept îles éoliennes, toutes volcaniques, qui parait-il sont si belles.

Admirer enfin le cratère fumant du Stromboli, seul volcan encore en activité de cet archipel. Retrouver la trace d’Ulysse qui s’y est reposé après sa mésaventure « cyclopienne » ! Il gravira le Stromboli et implorera l’aide d’Éole, pour retourner au plus vite à Ithaque. Le Dieu enfermera dans une outre tous les vents contraires pour ne laisser qu’une légère brise qui permettra à Ulysse de rejoindre sa belle Pénélope. Mais, trop curieux, les compagnons d’Ulysse ouvriront la gourde en peau de bouc et tous les vents, déchainés, ramèneront les marins à Stromboli. Éole, trop en colère refusera d’aider à nouveau Ulysse. Ah ! La curiosité fait bien des malheurs…

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Lundi 18 avril

Après une nuit calme, sans vent, on aperçoit enfin l'île de Stromboli. Volcan culminant à un peu plus de 900 mètres.

A l'ouest les îles de Panaria, Salina et Lipari. Plus à l'ouest deux îlots Filicudi et Alicudi.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Comme pour nous récompenser de notre patience, le Stromboli, nous accueille avec plusieurs minis explosions. C’est très impressionnant de voir toute cette fumée plus ou moins dense sortir du cratère et nous regrettons que cela ne soit pas la nuit. Nous aurions eu un spectacle digne des sons et lumières.

Nous nous approchons assez près de l’île pour voir le hameau de Ficogrande. Ses plages de sable noir, ses rochers plus sombres encore contrastent avec les petites maisons d’une jolie blancheur rafraichissante et invitent à la découverte. Charmant, il donne une impression de paix et de sérénité, alors que le volcan, bien vivant, gronde et peut encore rugir. Régulièrement de grosses coulées de laves descendent vers la mer.

Se souvenir aussi du très beau film de Rossellini « Stromboli » avec Ingrid Bergman dont il était fou amoureux. Son histoire d’amour commença sur cette île mythique.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Nous quittons ce magnifique paysage en frôlant le Strombolicchio, toute petite île au nord-est de l’ile de Stromboli, provenant d’une très ancienne éruption volcanique.

Aucun habitant, juste un phare marin, solaire.

Malheureusement, notre calendrier est serré et la Croatie est encore loin. Nous reviendrons, certainement, dans un autre périple autour de la Sicile, sur la route de l’Atlantique. Mais nous n’en sommes pas là.

Malgré la fatigue, il nous faut avancer.

Nous prenons le cap de la côte italienne, calabraise pour être précis. Gioai Tauro nous semble être une bonne halte pour une nuit de sommeil profond pour envisager le détroit de Messine mardi vers midi.

En sortant de la zone «îles éoliennes » le vent se met à souffler violemment. Allez savoir pourquoi. Il frise les trente nœuds et les vagues me semblent énormes !

Trois heures durant, je me cramponne car ça bouge sacrément. C’est dingue pendant deux jours, rien et voilà que d’un coup, le vent se met à faire des siennes. La fatigue s’installe définitivement.

Nous croisons de nombreux porte-containers, en route eux aussi vers la Sicile ou la Calabre. On les voit bien car le temps reste clair malgré le vent important.

Vers 19h30, nous arrivons enfin à Gioai Tauro. Drôle d’endroit. Port de déchargement ou chargement des containers, où se tiennent côte à côte de nombreuses grues, énormes, semblables à des girafes de fer. Il nous faut passer à côté pour rejoindre le petit port de pêcheurs en arrière. Petit port légèrement désuet, tenu par une association de pêcheurs qui ne veulent pas nous faire payer la nuit. Incroyable !

Nous passons une très bonne nuit. Rattraper un peu de sommeil avant que le réveil ne sonne encore une fois de bonne heure. Se réchauffer dans la couette avec notre petit chauffage soufflant qui marche à fond toute la nuit. Une vraie nuit… que c’est bon !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Mardi 19 avril

Prendre le temps de boire un bon thé chaud et sortir à l’aube commencer nos activités : remplir le réservoir d’eau, laver le pont (à chaque fois qu’on accoste et qu’on attrape les pendilles plongées dans l’eau, sales à souhait, notre pont est affreusement crasseux et glissant !) débrancher l’électricité et s’occuper des pare-battages. Routine, routine…

Et au lever du soleil, nous sommes fin prêts pour le départ. Un peu d’angoisse à l’idée de passer ce fameux détroit de Messine. Nom mythique, porteur de légendes qui parfois fait froid dans le dos. Je pense à nouveau à Ulysse, puisque nous suivons en quelque sorte son périple, mais à l’envers.

Ulysse s’y est presque perdu, entre Charybde, le tourbillon, et Scylla, le monstre à 6 têtes. Tous ses compagnons moururent, il fut le seul survivant.

Heureusement je ne me vois aucune ressemblance avec Ulysse. Ma Pénélope est là, à côté de moi, à piloter en jouant à Gilbert Montagné !

Petit vent de dix nœuds avec une forte houle, due à la mauvaise mer d’hier, sans doute. Nous sommes à dix milles du détroit, j’ai le temps de me poser. Il me tarde vraiment de remonter ce fameux pied (Dieu que l’Italie a un grand pied ! c’est presque la botte du Chat Botté !), de contourner le talon et de rejoindre la Croatie.

J’aime ce pays, je m’y sens bien, comme chez moi. C’est un pays magnifique : d’un côté, sa mer cristalline, son littoral préservé, ses petits ports de pêche authentiques, et ses presque mille deux cents îles, de l’autre ses montagnes et ses parcs nationaux, ses vignes, ses vestiges romains, et son passé historique très riche.

On y distingue les empreintes italiennes, autrichiennes, hongroises et même françaises. N’est-ce pas Napoléon Bonaparte, lors de la fondation en 1809 des Provinces illyriennes, qui imposa aux Dalmates de planter cinquante oliviers, avant de se marier ? D’ailleurs, aujourd’hui l’État apporte une aide aux Croates qui envisagent de planter cinquante oliviers sur une même parcelle.

Le peuple croate a beaucoup souffert, tout au long de son histoire et de ses nombreuses annexions par l’Empire Ottoman, la Hongrie et l’Autriche. Rarement autonome, on peut comprendre que ce peuple se soit battu pour sa liberté. Après la mort de Tito, la Yougoslavie disparait et la guerre entre les différentes fédérations commencent. Celle de Croatie durera près de cinq ans. La fin de la guerre est proclamée en novembre 1995. La Croatie est reconnue par la communauté internationale comme pays indépendant à part entière.

Les Croates sont nationalistes mais pas extrémistes. Ils aiment profondément leur pays et respectent leurs traditions.

En tout cas, je ressens dans ce pays une sérénité et un bien-être qui commencent à me faire défaut en France. Ici, aucune violence, aucune angoisse à se promener dans les rues de ses villes, petites ou grandes. Il fait bon y vivre. Les Croates ont une vraie joie de vivre et ça se sent, ça se voit.

N’est-ce pas curieux et étrange que ma grand-mère paternelle, que nous appelions « Mamika » (Mamie en croate !) ait adoré ce pays au point d’y aller régulièrement ? Qu’y faisait-elle ? Quels amis avait-elle ? Je ne le saurai jamais. J’aime à penser qu’elle avait, elle aussi, un amoureux croate et un endroit où elle se sentait bien. Comme moi. Quand je retrouve notre petite maison, j’ai l’impression de profiter encore plus de la vie. Je me sens des ailes.

Mais je n’y suis pas encore. Il nous reste quelques milles nautiques à parcourir !

Pour le moment, l’Alcazar avance difficilement : il prend le vent qui vient du sud. Charles s’amuse à optimiser le réglage des voiles. Je prépare un bon café. Charles le boira seul, je me sens un peu patraque.

Quand je suis ballottée de cette manière, je ne peux ni lire, ni écrire. Je ne souhaite qu’une chose : arriver dans un port, me mettre sous la couette après une bonne douche et me coller contre celui que j’aime et avec qui je rêve à de nombreuses autres aventures !

Voilà, mon esprit vagabonde à nouveau.

Que n’ai-je fait depuis huit ans à peine ?

Deux maisons : une vieille grange, appartenant à Charles sur les balcons de Belledonne, à Theys.

Elle a abrité nos premières retrouvailles et nous l’avons entièrement retapée. Il y faisait bon vivre. Nous y avons habité cinq ans en y recevant familles et amis avec un grand bonheur.

Charles a décidé de la vendre pour concrétiser son rêve : naviguer sur un catamaran et aller vers d’autres aventures.

Aucun regret, une page s’est tournée mais une autre apparaît, au creux d’autres montagnes, celles du Vercors encore plus près et presque plus belles !

Une deuxième maison en Croatie, remarquée lors d’un de mes voyages « découverte » avec mon Croate. Un coup de foudre partagé, tout comme les travaux de rénovation, beaucoup de travail, de fatigue pour un résultat qui me fait chaud au cœur. J’aime cette maison qui signifie, pour moi, beaucoup plus qu’une simple maison. Là-bas aussi, nous accueillons famille et amis avec joie. J’aime y recevoir les personnes que j’estime, leur faire découvrir cette Croatie encore un peu sauvage et légèrement désuète.

Et les voyages ? Charles, après nos retrouvailles, m’avait fait quelques promesses qu’il a respectées :

Voir le Machhapuchhare, sommet mythique du Népal, abritant la déesse Shiva.

Faire le tour des Annapurnas. Trek magnifique, dans une autre dimension. Monter à 5200 mètres sans pouvoir atteindre le col à 5400 : le mal des montagnes m’a condamnée à redescendre vite, par le même chemin. Regrets…

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Faire mon premier saut en parapente, au-dessus du lac de Pokhara, apercevoir le Machhapuchhare entre les nuages, juste pour moi, pour me saluer et m’offrir l’image splendide de son sommet en queue de poisson enneigée. Des aigles volaient un peu plus haut que moi. Quelle magie !

Découvrir la plongée sous-marine à Hawaï, magnifique archipel, merveilleux voyage.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Visiter Cuba avant que ce beau pays ne soit envahi par les américains. Faire à nouveau de la plongée dans des fonds époustouflants et rencontrer pour de vrai Dame Tortue, raies, poissons multicolores, coraux flamboyants. Dix plongées qui m’ont enchantée et donné le goût des profondeurs pour la beauté et le silence. Forme de méditation dont l’intensité du moment est indescriptible. Respiration contrôlée, douce qui permet d’aller loin au-dedans de soi, entourée et parfois chatouillée par des poissons aux couleurs vives et lumineuses. Ressentir une vraie liberté.

Cuba et ses couleurs, sa musique, ses cigares, ses églises et… son communisme. Aujourd’hui encore, le Che n’en finit pas d’être ce guerrier adoré, voire adulé !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

La Thaïlande, ses îles paradisiaques et ses montagnes du nord, sa cuisine si parfumée, sa douceur de vivre, ses habitants qui nous déconcertent par leur fatalisme et ses éléphants qui ont bouleversé mon âme de petite fille.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Le Laos et la descente du Mékong en bateau, l’empreinte de la France à Luang Prabang où chaque matin, une centaines de moines bouddhistes provenant des différents monastères marchent à travers la ville pour récolter les dons des habitants.

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D’autres voyages se sont ajoutés à ces promesses :

Minorque, une des îles Baléares que je ne connaissais pas et qui m’a enchantée par son côté sauvage et son histoire. J’apprendrai par hasard que les ancêtres du père de ma Virginie étaient originaires de Mahon, la capitale, et que l’un d’eux avait navigué vers l’Algérie et posé les fondations de cette famille !

Barcelone, capitale de la Catalogne, ville magique où Antoni Gaudi, célèbre architecte s’est amusé à laisser une singulière empreinte avec entre autres sa « Sagrada Familia », son « parc Güell » et sa « casa Batllo ».

Flâner sur les « Ramblas », visiter le musée Picasso et la Fondation Miro et en prendre plein les yeux. Doux souvenirs…

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Lisbonne et ses azulejos, ses tramways, ses magnifiques édifices et sa joie de vivre. Son fado qui vous arrache des larmes et qui vous prouve que vous êtes bien vivants.

Prague la mystérieuse et ses concerts qui m’ont tant bouleversée en enveloppant mon âme d’un voile qui la rend encore plus belle

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Budapest, autre capitale qui remue nos émotions de par sa beauté et son histoire ! Partagée avec des amis. Le partage. Partager, un mot que j’aime particulièrement et qui fait partie de mon « essentiel ».

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Et l’Italie avec Florence que je rêvais de découvrir depuis des années. Voir de mes propres yeux les Masaccio dont mon père m’avait tant parlés et qui dégagent tant d’émotion, voire de souffrance.

Admirer le David de Michel-Ange qui jeune fille me faisait rêver, et comment, aujourd’hui, oublier ses« Esclaves » inachevés tentant de se libérer de ce marbre-prison ?

Tant de merveilles dans cette ville fascinante par ses monuments magnifiques et l’abondance de ses chefs d’œuvre. Y retourner encore et encore …

Et comment oublier Istanbul et sa Basilique Sainte-Sophie, sa Mosquée bleue, son Bosphore, ses jus de grenades. La magie de cette ville entre deux continents m’a touchée au plus profond et m’a fait oublier pendant quelques jours les soucis de santé que je venais une nouvelle fois de traverser.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
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Et puis aussi tenter de gravir le Mont-Blanc, guidée par l’homme que j’aime et accompagnée de mon fils que je retrouvais après des années difficiles et avec qui je partageais cette belle expérience. Déçue que le mauvais temps nous surprenne au refuge du Goûter et nous oblige à redescendre.

Un jour peut-être, nous recommencerons. Mais les années passent si vite !

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Je suis dans la deuxième partie de ma vie et j’ai encore (et heureusement) de nombreux projets dans la tête. Je sais, je le sens, que le petit crabe ne viendra plus me titiller. J’ai confiance, je demande juste à la vie de me tenir debout longtemps encore. Et consciente. Et lucide.

Profiter de la vie encore et encore, découvrir à deux de nouveaux horizons et remplir mon tiroir secret de mille et mille choses qui, toujours, m’apporteront du bonheur !

Sur l’Alcazar, qui file en ce moment à neuf nœuds, je me rends compte qu’à soixante ans, certaines choses sont plus difficiles à accomplir. Il faut accepter le fait qu’il nous faut plus de temps pour faire et pour se remettre ! Ne plus se prendre la tête, vivre l’instant présent et toujours garder le cap de « l’essentiel » ! Je m’y emploie !

Cela me ramène au moment présent : on approche du détroit de Messine, le fameux ! Il fait environ trois kilomètres de large et sépare la pointe de la Calabre de la Sicile.

Je le vois enfin. Deux pylônes électriques, l'un côté calabrais l'autre côté sicilien sont visibles de très loin.

La ville de Messine s’étend nonchalamment, elle se développe principalement le long de la côte en raison des collines proches à l’intérieur des terres : c’est une des villes les plus longues du monde.

Le vent souffle à 18 nœuds et la mer est très agitée. On peut très bien voir les remous et les tourbillons caractéristiques de cet endroit. Ça bouillonne ! Le capitaine navigue uniquement aux moteurs malgré la force du vent. Heureusement ils sont puissants et équilibrent le … déséquilibre !

La rencontre de deux courants opposés et le mélange des mers Tyrrhénienne et Ionienne produisent de nombreux tourbillons et agitations. Avec en prime un vent qui souffle toujours un peu fort.

De très nombreux cargos, pétroliers et navires de tourisme sillonnent le détroit et nous semblons minuscules. Le bout du pied de l’Italie est là, tout près avec sa ville de Reggio di Calabra, prêt à shooter dans la Sicile, île triangulaire que les Grecs appelaient Trinakria.

Nous arrivons enfin à la Marina del Nettuno au nord du port de Messine qui n’accueille aucun plaisancier. Une statue immense représentant la Madonna della Lettera, Saint patronne de la ville. Sur son socle, les mots que la Vierge Marie a adressé à Saint-Paul « Nous vous bénissons, vous et cette ville ».

Un des responsable vient nous aborder en zodiac pour nous diriger vers « notre » place. Nous avons prévu de nous arrêter quelques heures pour visiter la ville et faire deux trois courses.

L’accostage se fait très difficilement à cause du vent qui souffle très fort et nous pousse vers le quai. Le Capitaine est super concentré mais malgré son attention l’Alcazar cognera l’ embarcadère. Quelques sueurs froides , rien de grave heureusement, s’évanouissent dès que le bateau est enfin bien amarré !

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Il fait très chaud et pour une fois nous nous débarrassons de nos parkas. Tee-shirts et lunette de soleil !

Nous cherchons dans un premier temps les cartes marines dont nous aurons besoin pour la remontée de la botte et l’entrée dans la mer adriatique. Nous n’en avons aucune et jusqu’à présent nous n’en avons pas trouvées de récentes.

Nous avons donc un peu de mal à faire nos itinéraires car il nous manque des informations essentielles à une bonne navigation. Même si nous avons le GPS il nous faut au moins les noms des ports. Nous ne trouverons pas notre bonheur à Messine. Nous achèterons quand même une bonne carte routière ! Pas toujours précise, on peut s’en douter ! L’aventure, c’est l’aventure…

Nous nous baladons dans les rues, toujours le charme italien, les belles églises et les jardins peuplés de sculptures.

Au détour d’une rue, un peu avant midi, nous assistons à un drôle de spectacle : une nuée de touristes, les yeux en l’air, appareils photos prêts à immortaliser quelque chose ! Nous comprenons que nous sommes devant la fameuse horloge astronomique la plus grande du monde, construite par une entreprise alsacienne en 1933. Midi sonne et les automates se mettent en marche : un lion en bronze, énorme, agite le drapeau de la province de Messine, bouge la queue, tourne la tête vers la place et rugit trois fois ! Un coq chante et bat des ailes. Au-dessus de la Madone, recevant un message divin, les deux jeunes filles ayant sauvé la ville au 13ème siècle frappent les heures et les quarts d’heures sur deux cloches.

Et le final en beauté avec « l’Ave Maria ».

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Nous nous arrêtons déjeuner dans un bistrot goûter la pizza « Messinienne » et les bracioles délicieux arrosés d’un petit vin sicilien d’une couleur si rouge foncé qu’il nous rappelle un « Madiran ».

Grand moment de douceur après cette arrivée difficile au port. Nous continuons notre petite promenade et retournons vers notre cata pour un départ vers Taormine. Nous avons vraiment hâte de nous approcher de la baie de Taormine où a été tourné «Le Grand bleu ». Le village sur la colline, charmant avec ses petites maisons blanches, reste un souvenir intact.

Grand moment de douceur après cette arrivée difficile au port. Nous continuons notre petite promenade et retournons vers notre cata pour un départ vers Taormine. Nous avons vraiment hâte de nous approcher de la baie de Taormine où a été tourné «Le Grand bleu ». Le village sur la colline, charmant avec ses petites maisons blanches, reste un souvenir intact.

La sortie du port ne sera pas de tout repos. Le vent souffle fort, sans discontinuité et il faut tout le savoir faire du Capitaine pour que cela se passe sans encombre.

Je dépense une énorme énergie dans ces moments là et je suis épuisée. Avec peine, je défais les nœuds des pare-battages en attendant l’arrivée dans le prochain port ! Mais je sais enfin faire ces nœuds sans stress, c’est déjà ça ! Il m’a fallu un peu plus d’une semaine pour les maîtriser. Juste avant que Chaaarles se demande si je n’étais pas une vraie bourrique !

Je croise les doigts pour que le vent se calme un peu : il souffle à 25 nœuds avec des rafales à 33 ! Inutile de préciser que je commence à être dans un état de « liquéfaction » avancé. Je recommence à ressentir une petite peur qui risque de prendre de méchantes proportions si le vent ne se calme pas !

Nous longeons la côte sicilienne et découvrons des collines d’un vert tendre, parsemées de vignes qui tombent jusque sur les plages. Les églises, au centre des villages, semblent surveiller et protéger les navires glissant dans cette fin de détroit toujours très agité.

L’Etna se dessine au loin, cerclé de nuages, magnifique sommet de 3323 mètres. Volcan toujours en activité, le plus haut d’Europe, il se réveille de temps en temps pour rappeler sa force. Nous le verrons bien mieux plus au sud.

Le jour commence à tomber et nous laissons Taormine derrière nous trop déçus par ce que nous voyons : à se demander si Luc Besson a bien tourné son film dans cette baie !

Nous poursuivons un peu plus au sud et finissons par découvrir le port de Giardini. (Pas facile sans carte marine de trouver où se poser !) L’amarrage ne sera pas facile. Une très forte houle nous empêche de nous amarrer comme il faudrait. Plusieurs essais, faire, défaire les gros bouts, mettre, enlever, remettre les pare-battages… recommencer… Enfin au bout d’une heure et demi, le capitaine semble satisfait. Pas pour longtemps. Il fignolera encore un peu. Cette fois c’est la bonne !

Petite soupe, douche et…couette ! Sommeil bien mérité, je suis morte de fatigue. Je m’endors malgré la houle qui berce sacrément le bateau, les grincements et cliquètements des cordages.

Je suis heureuse que ce détroit soit derrière nous avec ses vents, ses remous, ses courants dans tous les sens. Ouf ! une bonne chose de faite.

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Mercredi 20 avril

Nous quittons ce joli port de Giardini avant le lever du soleil. L’Etna roussi par le soleil levant, crachant continuellement son filet de fumée qui s’envole vers les cieux. Encore une fois, le spectacle est splendide.

Je regarde de l’autre côté et j’aperçois la côte italienne qui ne semble pas si loin. Le soleil est bientôt là…

Cap sur l’Italie ! Peu de port en perspective. Direction Rocella à 65 milles. Nous laissons derrière nous la Sicile avec un léger regret de n’avoir pu prendre le temps de la visiter en en faisant le tour. Cette île semble magnifique et la découvrir en bateau ou même en voiture, est un projet que j’inscris sur une petite liste cachée dans ma tête. Durant de longs milles, l’Etna nous suit, majestueux. Un jour, comme Ulysse, nous le gravirons et découvrirons ses pentes couvertes de citronniers et d’orangers.

Je me souviens d’une de mes lectures : Guy de Maupassant, marin confirmé, vogua sur les côtes italiennes et siciliennes sur son « Bel-Ami ». Il fit, dans « En Sicile » un récit de son ascension de l’Etna et de sa découverte de cette île qu’il baptisa « Perle de Méditerranée ». Je comprends, aujourd’hui, sa mélancolie.

Est-ce ces paysages merveilleux qui me mettent dans un état émotionnel très particulier ? Heureuse et en même temps légèrement nostalgique ? J’ai du mal à expliquer cet état d’âme, c’est ainsi. Je sens parfois que Charles est plus dur, plus sévère, certainement à cause du stress qu’engendre forcément un bateau. Naviguer six tonnes n’est pas simple ! Je pressentais cette attitude, je ne m’étais pas trompée. Je comprends mais parfois c’est pénible et ça me rend triste. Même si je sais que c’est très ponctuel : je n’ai pas l’habitude !

Il avait un rêve qu’il est en train de réaliser, il comprend et sent les choses, je suis novice et parfois j’ai du mal à saisir ce qu’il me demande. Ça l’agace et le contrarie.

Je n’aimerais pas qu’on arrive à se perdre et s’oublier dans cette aventure exceptionnelle.

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L’Alcazar avance vite, sans moteur, le vent gonfle les voiles, juste le bruit des vagues qui tapent sur les coques. On surf, on glisse. Malheureusement pour moi, le vent commence à devenir de plus en plus violent, les vagues suivent le rythme, la peur et l’angoisse montent crescendo. Très vite l’inquiétude s’installe et je n’y peux rien. C’est un sentiment détestable que je n’arrive ni à maîtriser ni à contrôler. Je sais que Charles a du mal avec ma peur. Je suis assez seule dans ces moments, personne ne peut m’aider, pas même lui.

Je sais bien que cela ne sert à rien d’avoir peur, mais c’est là, bien présent à chaque vague qui emporte le bateau de plus en plus haut, à chaque rafale que j’entends gronder dans les voiles.

Pour une première expérience, on ne peut pas dire que c’est « la croisière s’amuse » en maillot de bain, lunettes de soleil et farniente ! J’espère que des journées comme celles-ci ne vont pas me dégoûter à tout jamais des balades en voiliers ! La peur m’enveloppe toute entière et me fait perdre mes moyens. J’essaie pourtant de me distraire pour que mon esprit se concentre sur autre chose mais c’est une tâche très laborieuse.

Bon, allez, repenser à Taormine, à ma grosse déception. Les images du « Grand bleu » me trottaient dans la tête et je revoyais les petites maisons blanches perchées au sommet des rochers, lorsque nous longions la côte et grande surprise : du béton, beaucoup de béton, peu de maisons blanches… Cela confirme la bêtise de l’homme qui recherche toujours le profit et l’argent. Construire, bétonner au nom du tourisme, ok, mais ne pourrait-on pas le faire intelligemment en respectant la nature et la beauté à l’état pur ?

On en oublie les vraies valeurs, on en oublie l’essentiel. Encore et encore.

L’après-midi passe et je sens s’éloigner mon état d’âme tristouille, la peur me quitte doucement, en même temps que le vent s’adoucit. Ouf !

Nous longeons la côte calabraise et je suis très étonnée de la beauté des villages sur le bord de mer. Les collines à l’arrière sont magnifiques, parfois des roches calcaires semblent glisser jusqu’à la mer.

De nombreuses plages de sable blanc bordent l’eau turquoise. Manquent les palmiers pour ressembler tout à fait à des îles lointaines…

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Nous filons à vive allure et voilà que surgissent de nombreux dauphins autour du bateau. Ils vont nous suivre et jouer comme des fous pendant de nombreuses minutes. Comme les enfants jouissant d’une liberté nouvelle, ils sautent, plongent, se retournent et nous montrent leurs ventres d’un blanc laiteux. Nous redevenons nous-mêmes des enfants écarquillant nos yeux de joie de tant de bonheur. Je me pose à l’avant du cata pour mieux les suivre et je m’aperçois qu’ils jouent encore plus ; m’entendent-ils leur crier mon ravissement ? Me distinguent-ils pendant leur course ? Et puis, d’un seul coup, comme s’ils s’étaient donné le mot, ils nous abandonnent. Je reste à regarder la mer, essayant de voir le chemin qu’ils ont pris.

Le capitaine retourne à ses voiles, concentré sur le moindre souffle. J’aime sa tranquillité, son calme. Nous vivons des moments uniques, j’en suis totalement consciente, comme nous en avons déjà vécus de très nombreux depuis que nous nous sommes retrouvés. Nous nous ressemblons, nous avons les mêmes objectifs et essayons de nous y tenir. Nous aimons partager et le mot »partage » a une vraie signification pour nous. Ce n’est pas un mot à prendre à la légère. Il a une valeur importante. Nous respectons et essayons toujours de faire ce que nous disons. Je ressens pour lui un amour tranquille et serein qui me conduit sur le chemin que j’ai choisi il y a déjà presque huit ans.

Nous décidons de passer une nouvelle nuit en mer. Pour avaler des milles nautiques et atteindre au plus vite le talon de la botte ! Nous en sommes encore loin. Le Capitaine décide de mettre le cap sur Crotone qui se trouve à 108 milles de notre position. On devrait y arriver demain, jeudi 21, dans la journée.

Très mauvaise nuit en mer. Le vent souffle de face à 25 nœuds, la houle très forte nous assure gratuitement un « grand huit ». Je déteste, mon cœur se soulève à chaque fois que le bateau redescend. Nuit épouvantable, la peur m’assaille et me prend aux tripes.

Je ne barre que deux fois deux heures. Difficile de barrer pour moi car le pilote automatique décroche souvent, j’ai du mal à garder le cap et j’appelle Charles au secours, souvent. Trop souvent.

Je suis épuisée et j’imagine la fatigue de Charles qui n’a pratiquement pas dormi.

J’essaie de lui proposer de l’aide, du café, du thé…il n’arrête pas, il barre et ce n’est pas facile vu le temps, il tire les bouts, il cherche la meilleure position de la GV et du génois, il va et vient, il ne me parle pas beaucoup, je sais que c’est le stress de la situation qui le rend comme ça, ma peur ne l’arrange pas car il ne sait sans doute pas quoi faire (mais il n’y a rien à faire, sauf arrêter le vent et les vagues !) Il est dur et me dis que je l’agace avec mes « gentilles » propositions et ma bienveillance ! Alors là, ça me fiche un de ces coups ! Je suis abasourdie et il me blesse énormément. Mais sur le coup je ne dis rien, j’en suis incapable. Trop mal. Je sais que nous en discuterons plus tard dans un moment de calme. Pour l’instant c’est l’urgence.

J’avoue que là, le bateau j’en ai ma claque ! Je redoute que la météo continue d’être mauvaise. En plus, sur cette partie de la côte italienne, les ports de plaisance et les mouillages sont quasi nuls ! Je n’arrive pas à laisser ma peur sur le pas de la porte ou plutôt sur le quai : mission impossible !

En plus, comme le vent nous arrive de face, impossible de monter les voiles, les moteurs tournent mais nous n’avançons pas. L’aube se fait attendre, la nuit est si longue. Je verse quelques larmes de peur et de fatigue, je ne sais plus trop !

J’attends avec impatience que le jour se lève.

Au lever du soleil, je suis à la barre et deux dauphins viennent sauter dans les vagues énormes et même ce moment magique ne me rend pas ma gaieté !

Charles dort dans le carré emmitouflé dans son sac de couchage, mes larmes coulent en silence… Pourtant le soleil se lève et le spectacle est encore une fois sans nom.

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Jeudi 21 avril

J’essaie de me réchauffer car je suis frigorifiée. Dieu qu’il fait froid et humide ! Je prépare un bon petit déjeuner. Pas facile avec cette mer démontée !

Heureusement au fil des heures le vent se calme. La mer est agitée mais cela va bien mieux que cette nuit. Souvenir effrayant !

En milieu de matinée, nous nous arrêtons en route pour faire le plein de gazole et d’eau. Port moderne, malheureusement à cinq kilomètres de la petite ville de Rocella, trop loin pour aller flâner. On en fait juste le tour à pieds histoire de se dégourdir les jambes et de rétablir la communication !

On repart vers Crotone qui est encore à un peu plus de 62 milles ! Mais à quelle heure va-t-on arriver dans ce fichu port de Crotone ?

Je pense avec effroi que nous n’y serons pas avant demain matin puisqu’il reste un peu plus de 60 milles ! J’espère une nuit plus calme, mais bon voyons déjà cette journée !

Les plages se succèdent les unes après les autres, comme si elles n’en formaient qu’une seule, immense et sans fin. La couleur de la mer varie entre le turquoise et l’émeraude, étincelante sous les rayons du soleil. On pourrait se croire aux Caraïbes.

Mais il ne fait toujours pas chaud et nous ne quittons pas notre déguisement bibendum ! L’ambiance au fil des heures se détend, je reprends le sourire, la mer est calme, le vent souffle à 15 nœuds mais tout va bien, le bateau glisse et avance vite.

Par contre une nouvelle nuit en mer se dessine et la fatigue est bien ancrée. Heureusement la météo ne change pas. Ouf !!!

Tout se passe bien, par contre vers le milieu de la nuit, nous passons plusieurs caps dont celui de Rizzuto, qui nous demande une extrême vigilance. Heureusement le GPS semble « au taquet ». C’est une zone balisée et cela demande une grande concentration car la nuit, les balises ne sont pas si visibles que ça ! Nous sommes tous les deux à scruter l’environnement.

Mais la nuit est belle, ma peur ne s’est pas manifestée puisque la mer est calme, le vent entre 12 et 15 nœuds, sans rafale, régulier. Rien à voir avec la nuit précédente. J’ai fait ma part de pilotage, nous avons pu nous reposer chacun notre tour.

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Nous arrivons à Crotone à 5h30 du matin. Le jour se lève et l’arrivée au port se passe bien : un gardien nous voit arriver de loin et nous guide jusqu’à notre emplacement. L’amarrage se fait sans aucun souci, toutes les conditions sont réunies pour un bon accostage « à cul ».

Ni une, ni deux nous fonçons dans notre lit pour dormir, vraiment dormir quelques heures avant de poser un pied à terre !

Nous dormirons près de trois heures, d’un sommeil profond et réparateur. L’heure du petit café est arrivée. On en trouve un bien sympa, au soleil. Moment délicieux après ces deux nuits en mer.

Promenade en ville au bord de la plage, découvertes de ses petites rues déjà bien animées, marchés colorés, cris et rires des enfants italiens qui courent dans tous les sens, les italiens, aimables et souriants qui ne demandent qu’à nous rendre service. Nous cherchons une boutique qui pourrait nous vendre les lettres pour l’immatriculation du bateau.

Nous serons bientôt en Croatie et cela s’impose. Nous trouvons un atelier de sérigraphie qui se met en quatre pour nous les faire en deux heures. Très bien !

On s’occupe de notre ravitaillement et c’est bientôt l’heure du déjeuner. On choisit un petit bistrot pas loin du port, au soleil qui nous sert un apéro-repas gargantuesque : antipasti, petit Chardonnay « frisante » et sourires à gogo pour trois fois rien. Incroyable !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Pas une seule arnaque en Italie ! Je n’en reviens pas, je révise donc mon opinion sur les italiens. Jusqu’ ‘à présent nous n’avons eu que de bonnes expériences. Il faut dire que nous nous sommes arrêtés dans les ports et les petites villes. La vie y est plus douce et plus facile que dans les grandes villes. Il est donc normal que les gens soient moins stressés et plus agréables.

Nous nous préparons à partir mais il nous faut attendre le responsable du port pour récupérer nos papiers et régler notre place. 14h le bureau est toujours vide ! Charles entend arriver un personnage chantant à tue-tête sur un scooter : c’est le fameux responsable tant attendu visiblement très éméché ! Dialogue rondement mené : d’une place à 60 euros, le pilotin la ramène à 25, trouvant le Capitaine de l’Alcazar fort sympathique ! Il va même jusqu’à remonter sur son scooter pour nous rapporter un pack de six bouteilles d’eau minérale, estimant que l’eau du port n’était pas bonne à boire. Charles aura du mal à le payer en retour.

Nous quittons Crotone, ravis de cette petite halte et découvrons ses nombreuses éoliennes. Nous larguons les amarres en début d’après-midi, après avoir programmé un semblant d’itinéraire.

Nous allons traverser la grande baie qui dessine la voûte plantaire de ce fameux pied italien, pour arriver à Santa Maria di Leuca, à 72 milles demain matin au lever du jour. (En principe !) Ensuite nous rejoindrons Brindisi et Vieste en deux ou trois jours avec de nouvelles nuits en mer. De Vieste on devrait traverser vers les premières îles croates. Ensuite on verra bien !

Pour l’instant cap sur Maria di Leuca. Ville la plus au sud de la péninsule italienne, dans les Pouilles, ville entre deux mers où les eaux de la mer ionienne rencontrent celles de la mer adriatique.

Le temps est frais, le ciel couvert, et la nuit risque d’être encore plus froide. Nous sommes toujours avec des couches et des couches de vêtements : pulls et caleçons polaires, doudounes, parkas, bonnets et gants. Très loin de la croisière en maillots de bains ! Ah ! L’aventure !

La nuit est finalement assez tranquille. Beaucoup de vent mais tout en douceur. Le vent souffle à 18 nœuds, le bateau file à sept huit nœuds, vitesse maxi pour moi et sans secousse, il glisse, c’est très agréable et on avale les milles ! Vers deux heures du matin je barre dans une brume cotonneuse avec la lune pour compagne et d’un seul coup, le vent s’arrête net ! Je perds le cap, impossible de remettre l’Alcazar sur la bonne route ! « Chaaarles au secours !! » J’étais vraiment désolée de le réveiller, il se lève, tout endormi et récupère notre cap. Il reste à la barre, je me repose deux petites heures en attendant que le jour se lève.

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Samedi 23 avril

Je prépare le thé. La journée commence avec un nouveau magnifique lever de soleil.

Il est près de six heures et nous arrivons sur la pointe de Santa Maria di Leuca. Nous voyons de très loin son fameux phare. Impressionnant par sa hauteur et sa forme octogonale, il a été construit en 1864 et comporte un escalier en colimaçon de 254 marches ! Nous pouvons l’admirer en arrivant à sa hauteur. Il est très tôt et nous décidons de continuer notre chemin vers Otranto. Ce serait idiot de nous arrêter ici à cette heure très matinale. Pas la peine de perdre du temps, la route est encore longue.

Tout va bien, la mer est bonne, il manque un peu de vent mais les moteurs tournent à un bon rythme. Je vaque à mes occupations : je plie nos sacs de couchage, je range, je fais un peu de ménage. On profite de ce temps calme pour nous occuper de la canne à pêche, toujours vide ! La petite pause café, puis fruits nous fait passer un peu le temps.

Je prends le temps et je profite du calme pour lire un peu et écrire. Raconter notre petit périple me plait et je suis certaine que je serai contente de relire dans quelques mois, voire années, nos aventures !

Un dauphin vient nager quelques minutes près du bateau. Il est tout seul, ce qui est plutôt rare. Il repart, comme il est venu.

Il va falloir que nous nous arrêtions faire les pleins : gazole et eau. Vers 13 h nous arrivons sur Otranto, joli petit port, enveloppé dans une légère brume qui le rend encore plus mystérieux.

Nous allons directement à la pompe et après le plein nous prenons le temps de nous préparer un vrai déjeuner sur le bateau. Petit moment bien sympa où le Capitaine a encore une fois réussi comme un chef le thon grillé et les petits légumes !

Nous quittons Otranto, en milieu d’après-midi, rassasiés et prêt à affronter une nouvelle nuit en mer ! Nous sommes à cet endroit à 70 kilomètres seulement des côtes albanaises. Nous prenons la direction de Mola di Bari, plus au nord de Brindisi à 62 milles pour ne pas arriver une nouvelle fois en pleine nuit. La météo prévue : vent fort, mer agitée. Je ne vais pas être à la noce. Les petites flèches de mon « windfinder » sont vertes claires, limite jaunes ! Pas bon du tout. Ça va s’agiter pas mal. Mais nous ne pouvons pas rester sur place, il faut bien avancer.

Nous devons être à Sibuljina le 30 avril maximum. Nous sommes déjà le 23, les premières îles croates se rapprochent seulement, nous n’y sommes pas encore, il nous reste près de 400 milles !

Le vent se met à souffler, comme prévu, de plus en plus fort. Je regarde une mouette d’une envergure énorme, elle s’amuse avec Eole : monte, tourne, descend, virevolte, fait des pirouettes dans le ciel dignes d’un aviateur confirmé. Elle semble seule au monde à prendre du plaisir… Le doux bruit du moulinet se fait encore silencieux. Depuis plus de quinze jours, il n’est que silence. Mon optimisme s’est envolé rejoindre la mouette, on dirait ! Heureusement celui de Charles est intact et le matin au moment de mettre la canne, il dit « c’est le bon jour ! » Peut-être.

Je suis à l’intérieur car dehors c’est vraiment le froid. Charles, imperturbable barre et fait ses réglages. Je vois défiler devant moi les vagues courtes, écumeuses très agitées mais pas encore creusées par le vent de plus en plus violent. Pas de houle. Pour l’instant.

J’ai beaucoup moins peur qu’il y a quelques jours. Nous avons commencé notre périple depuis près de trois semaines, je m’habitue sans doute ou plutôt j’apprends chaque jour à gérer ce stress et cette angoisse qui me prennent. Parfois c’est trop fort et je n’y arrive pas. Mais bon, il y a du mieux et je le ressens.

Je suis stupéfaite des paysages de la côte italienne. Celui qu’on vient de passer, après Otranto, San Stefano ressemble à Bonifacio, avec ses falaises de calcaires abruptes qui « tombent » dans la mer.

Le vent souffle à 8 nœuds, la mer est agitée et le baromètre baisse ! Ce qui ne présage rien de bon ! Le soleil se couche sur Brindisi, nous longeons la côte parsemée de grosses usines. C’est là que nous rencontrons les plus gros pétroliers et porte-containers de tout notre voyage. La nuit est tombée, noire, la lune étant cachée par les gros nuages qui commencent à s’amonceler dans le ciel orageux. Ces énormes bateaux que l’on voit de très loin, éclairés de mille feux, déclenchent la sonnerie du radar. Je constate sur l’écran qu’un tout petit point (nous) est entouré de tous côtés par des gros points allongés (eux) ! Plus ou moins rapprochés, certes, mais bien là. Ça fait un drôle d’effet. On se sent vraiment minuscule. Et le problème c’est que les trois mastodontes vers qui nous nous dirigeons ne semblent pas avancer. Seraient-ils en « stand-by » ? On passe où ? À gauche ? À droite ? Il est en plus extrêmement difficile d’avoir la bonne vision de la distance. Les autres, plus loin, bougent et nous distinguons bien leurs lumières rouges ou vertes suivant leur direction. Il nous sera plus facile de savoir où passer ! Bon, comme nous ne pouvons pas passer la nuit ici, nous finissons par avancer et passer par derrière le premier, par devant le deuxième et le troisième se met à bouger.

Ce petit manège nous a quand même pris deux bonnes heures ! Il est presque 22 heures, je prends la barre, malgré tout un peu inquiète de me retrouver seule au milieu de tous ces navires ! C’est un chenal de passage et je distingue dans la nuit usines énormes, raffineries et autres de dimensions impressionnantes. Ce n’est pas le coin farniente !

Charles est allé se reposer dans le carré, emmitouflé dans son sac de couchage car on peut dire que le froid est bien là. Dans le cockpit l’humidité est en prime !

Je prends la barre et garde les yeux grands ouverts au cas où… il se passe quelque chose dans cette nuit mouvementée !

Et ça ne loupe pas : tout à coup dans le silence de la nuit…le moulinet qui s’affole « zzzzzzzzz » et se déroule à grande vitesse ! Oh ! Le joli bruit que nous attendions depuis des lustres, ça y est ! Je branche le pilote automatique et vais vite voir la canne à pêche : ça tire et j’ai du mal à mouliner. « Chaaarles » ! Il sort, hagard de son duvet, assommé par deux petites heures de profond sommeil. Il est un peu désorienté mais reprend vite le dessus en entendant ce ravissement ! Vite appareil photo, épuisette (on ne sait jamais si on sort un thon de 50 kg !) Je me dis quand même que ce n’est vraiment pas de pot de prendre un poisson justement dans cette zone très polluée. Il mouline, mouline et me dit que cela doit être un gros sac en plastique car il ne sent plus « d’à coup ». Dans la nuit on commence à distinguer une drôle de forme qui s’agite à la surface de l’eau. Mince ! Non ! Si !! Un goéland ! Il s’est emmêlé au fil de la canne en « dansant » dans le vent. Incroyable ! En plus de deux semaines nous ne pêchons rien et voilà que là, dans cette nuit Brindisienne, on attrape un GOÉLAND ! Charles arrive enfin à le sortir de l’eau, il bouge énormément et pour se défendre pince à plusieurs reprises le doigt de Charles qui, heureusement avait mis par prudence des gants. Sage précaution, car quand on voit son bec, on comprend qu’il vaut mieux être protégé ! Je vais vite chercher les ciseaux pour couper le fil en faisant attention de ne pas perdre un autre rapala. J’essaie maintenant de démêler et libérer l’aile de ce pauvre goéland. Non seulement il souffre et il est épuisé mais en plus il doit être totalement effrayé ! Il faut dire que voir deux énergumènes lui débitant des mots qu’il ne comprend pas (n’est-il pas italien ?) doit lui sembler incongru. Enfin, il peut bouger son aile librement. Charles en profite pour le poser sur le panneau solaire pour qu’il puisse prendre son envol. Et là, il se met à glisser, glisser et hop ! Il tombe dans notre annexe déjà bien remplie par la fameuse grosse bouée trouvée au milieu de la mer. Mince ! Impossible qu’il arrive à sortir tout seul et si on le laisse là, il risque de se faire écraser. Bon, une seule chose à faire, le récupérer ! Charles s’y colle mais je lui attache avant tout une corde autour de la taille, il manquerait plus qu’il tombe à l’eau dans la nuit noire en sauvant un goéland. Ouf ! Mission accomplie, il finit tant bien que mal à le prendre. Nouveau pincement en guise de remerciement, mais il lui pardonne.

Charles a peur qu’il ne supporte pas le froid de la nuit, comme notre petite alouette, donc il le porte dans le carré et le dépose dans l’évier, sur une serviette de toilette. Il pourra se reposer tranquillement. Quelle aventure !

J’aime ces moments incroyables. Cette première expérience de traversée est parfois difficile mais finalement il y a tellement de bons moments que les mauvais s’estompent. Pour une première expérience, ce n’est pas de tout repos mais j’apprends. La voile, un peu. Mais surtout gérer le stress dans des situations laborieuses. Aller au bout de soi-même est toujours très enrichissant et apporte une certaine estime de soi. Sans prendre la grosse tête évidemment !

La nuit est déjà bien entamée… J’attends avec impatience que le jour se lève, Charles se recouche en surveillant… son nouveau copain !

**********

Dimanche 24 avril

Le ciel est couvert de longs nuages, camaïeu de gris, allant du gris foncé au blanc. Leurs formes sont étonnantes. Je les scrute et je découvre toutes sortes d’animaux : de l’écureuil au lion, en passant par un éléphant sans patte mais avec des oreilles à tomber par terre. Tout prête à imagination et interprétation. Je ne suis pas étonnée que les Grecs y voyaient l’empreinte des divinités.

Quelques trouées de ciel bleu qui ne suffisent pas à nous inonder de lumière et de chaleur !

Charles se réveille et prépare le thé. Son copain a fait un tour dans les cabines pendant la nuit. Il est l’heure de le relâcher dans les airs. Moment vraiment magique. Il le pose sur sa main et le porte jusqu’au cockpit. Curieusement il ne cherche pas à le pincer. Au contraire il bouge avec une certaine délicatesse. Reconnaissant, certainement. Il ouvre la main et pendant quelques secondes les yeux du goéland font un aller-retour vers Charles et le large. C’est incroyable et plein d’émotion. Il hésite à s’envoler, peut-être en remerciement ? « Allez, petit… » Enfin, il s’envole et reprend de suite ses habitudes de jeux et de danse dans le vent qui le porte. Espérons qu’il ne rencontrera pas une autre ligne.

Je suis heureuse d’être là. Avoir une entière confiance en Charles me dés-angoisse d’une certaine manière. Il ne peut rien contre ma peur quand elle se déclenche mais je sais qu’au fond de lui, il n’aime pas me voir dans cet état et il essaie d’y pallier. Ça signifie beaucoup pour moi. Il ne part jamais en vrille, il maîtrise toute situation, il reste toujours calme, cherche la meilleure solution sans jamais paniquer. Heureusement !

J’apprécie ces instants de paix, de partage, de découvertes avec celui que j’aime. Nous partageons cette curiosité de toutes choses. Nous aimons les oiseaux, la Nature en général. C’est vraiment quelque chose qui m’avait manqué avant. Je n’avais partagé cet amour de la nature qu’avec Aimée, ma belle-mère, haute-savoyarde attachée à la terre et la campagne. Elle connaissait une multitude de choses et partageait avec moi en m’apprenant ce que je ne savais pas. Je pense à elle, aujourd’hui, d’autant plus sur l’Alcazar. Je lui tire mon chapeau encore une fois car elle est partie avec son compagnon sur un petit voilier de 9 mètres je crois, faire la traversée de l’Atlantique. Elle avait 65 ans, n’aimait pas l’eau et ne savait pas nager ! Je l’avais trouvée très courageuse. Elle m’avait raconté que ses plus grandes frayeurs n’avaient pas été les baleines nageant près de leur bateau, mais les pétroliers qu’ils avaient croisés.

J’ai compris la nuit dernière ce qu’elle voulait dire ! Petite pensée pour vous, Aimée.

Mola di Bari, au loin, se dessine, éclairé par un soleil qui tente de se faire une petite place entre les nuages.

Bientôt arrivés pour un repos de quelques heures encore une fois bien mérité ! Comme il me tarde d’amarrer et de me poser.

Surtout que la météo n’est pas bonne. Ça commence à bouger sacrément. Le vent atteint les 25-28 nœuds et on avance à presque 8 nœuds. On saute, on reçoit les éclaboussures des vagues, il fait froid mais je n’ai pas vraiment peur. Le jour n’est pas la nuit et l’angoisse est amoindrie. Au moins j’y vois !

Nous entrons enfin dans le port de Mola. Pas de chance, nous sommes refoulés par des Italiens, vraiment désagréables. C’est la première fois que nous sommes reçus de cette manière.

Bon, tant pis, on change d’itinéraire. On met le cap sur Manfredonia, au nord de Bari, à 57 milles ! Pas tout près. Ça ne sera pas une partie de rigolade vu le temps qu’il fait !

On avance difficilement, le vent de face nous gêne terriblement. Il est près de 14 heures et on a besoin de nous arrêter un peu. On trouve un mouillage aux environs de Bari pour déjeuner. Pas franchement agréable, la tempête avance vite vers nous ! Huit minutes de pluie intense et glaciale. Elle nous fouette le visage, traverse le taud et nous trempe en un rien de temps. Difficile de larguer l’ancre dans ces conditions, on avance doucement et on en prend plein la tête. Huit minutes c’est long, mais l’orage finit par s’éloigner. Et on arrive à s’ancrer une demi-heure pour grignoter et se sécher comme on peut. Pas franchement agréable.

On repart sur Manfredonia. On longe Bari pendant des heures. Vent à 40 nœuds. Du jamais vu pour nous ! Ça dépote sacrément, mer démontée, on « enfourne » et …je pète de trouille ! Nous sommes obligés de descendre la grand-voile et de rouler de moitié le génois. C’est toujours très sportif de le faire dans ces circonstances de vent et de mer affreusement mouvementée. Je me tiens comme je peux à la baume qui bouge mais on est balloté de gauche à droite, d’avant en arrière. Bref, le cauchemar. Je retourne dans le carré essuyer quelques larmes. A chaque fois que je vois l’avant de l’Alcazar enfourner, je pense qu’il ne remontera jamais et que nous allons périr, comme ça, au large de Bari. Bon, il remonte ! Mais il n’avance guère, pourtant les moteurs tournent et les voiles sont affalées depuis longtemps. Mais le vent souffle trop fort. Rien ne va !

Cette mini tempête va durer plus de deux heures. Comme c’est long ! Le temps se calme un peu pendant quelques heures pour mieux recommencer à la nuit tombante. Et la nuit c’est encore plus horrible ! On saute et on dévale les énormes vagues. Je me cogne partout, j’en ai marre mais marre. La météo ne s’est pas trompée et le mauvais temps va durer toute la nuit voire plus.

Le capitaine décide de changer de cap. Je suis toujours réfugiée dans le carré et je pleure bêtement. Je voudrais être arrivée… Pour l’instant nous essuyons un « coup de vent » force 8 selon l’échelle de Beaufort ! Je comprends ma détresse !

Il regarde son GPS et essaie de trouver un port où l’on pourrait se réfugier pour la nuit. Ça sera Trani. Nous y arrivons à 2 heures du matin, moi, dans un état de fatigue et de stress épouvantables, Charles, les traits tirés est lui aussi fatigué.

Nous nous amarrons sans problème, le port étant bien protégé, avec l’aide de deux gardiens très sympas. Ils nous préviennent que nous ne pourrons pas partir demain : la météo ne s’arrange pas. Bien au contraire !

Ni une ni deux, branchement de l’électricité, histoire de pouvoir allumer notre chauffage pour réchauffer notre cabine et cap sur notre couette, ça change du carré et des duvets !

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Lundi 25 avril

Grasse matinée ! C’est la pluie contre les hublots qui me réveille. Il fait un froid de canard dehors et heureusement que notre chauffage a marché toute la nuit. On entend le vent souffler mais le port étant bien protégé on ne bouge pas. Malgré la pluie, nous pouvons voir que Trani est un endroit très joli. Après avoir réglé les papiers à la capitainerie, il est déjà tard et nous partons flâner dans les rues à la recherche avant tout d’un bistrot pour un bon café !

Nous nous promenons et la pluie s’arrête. Les nuages commencent à se disperser, facilement avec le vent qui souffle encore très fort. Le soleil fait de petites apparitions.

Nous trouvons dans le dédale des rues, un tout petit restaurant très sympa. Il est tout juste midi mais la faim nous tenaille déjà. Il faut dire que notre estomac, hier, n’a pas eu son compte, à cause du vent violent !

Le patron est singulier, avenant et original. Petit chapeau sur la tête, écharpe autour du cou, Il parle un peu français, Charles un peu italien et moi un peu anglais. Nous lui faisons entièrement confiance pour nous offrir ce qu’il souhaite et cela ne rate pas : on se régale ! Endroit vraiment sympathique.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Nous retournons sur l’Alcazar, sieste l’après-midi entière. Mon Dieu que c’est bon de fermer les yeux et de se laisser aller. Nous rattrapons les quatre dernières nuits de navigation. On repartira quand la météo sera bonne. Pour l’instant je savoure ces moments de repos. Nous ne ressortirons pas le soir, préférant une petite soupe sur le bateau.

Le lendemain, grand soleil et voir Trani sous un soleil éclatant change la donne. Il est encore plus beau. Le port est adorable et nous partons vite faire un tour. De nombreuses églises, un jardin en bord de mer, des ruelles vivantes et tout à fait italiennes, nous attirent et nous donnent des ailes. Comme c’est bon de se retrouver à prendre notre temps, à découvrir des endroits magiques où les gens adorables sourient et semblent heureux, tranquilles !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Nous p-r-o-f-i-t-o-n-s !

C’est d’ailleurs exactement comme ça que nous voyons tous les deux les escapades en bateau. Prendre notre temps, naviguer par beau temps, sans stress. Là, nous devons ramener le bateau en Croatie dans un temps limité. Notre calendrier, serré, ne nous permet pas de perdre du temps. Ce qui n’arrange pas toujours nos affaires ! Mais là, nous tenons le bon bout !

Nous visitons la ville pendant de longues heures, retournons déjeuner dans ce petit resto découvert la veille où nous nous sommes encore une fois vraiment régalés de cette cuisine originale. Le vin que nous buvons est un vrai délice… que la vie est douce !

Nous faisons quelques courses pour les prochains jours, je suis vraiment étonnée du coût de la vie par rapport à la France. Les prix sont bas et les produits de qualité. Nous achetons du poisson puisque nous ne sommes pas fichus de le pêcher !!!

On peut dire que durant tout notre périple nous avons eu notre saoul de fruits et de légumes en arrivant sur la terre ferme.

Après avoir bien trainé, nous retournons sur l’Alcazar. Le Capitaine doit poser la nouvelle immatriculation de son bateau avant l’entrée dans les eaux territoriales croates. Il descend donc l’annexe et, avec mon aide, colle les chiffres et les lettres qui seront désormais sa seule identification. Voilà, l’Alcazar croate !

Demain, cap sur l’île de Vis, première île croate sur notre chemin. Encore quelques milles et nous atteindrons enfin notre ponton à Sibuljina !

Mercredi 27 avril

Les pleins d’eau et de gazole faits, nous larguons les amarres et quittons le joli port de Trani, bien reposés et sous un beau soleil. Nous sommes poussés par un vent arrière sud-ouest de 11 nœuds mais ce n’est pas facile pour le Capitaine de régler correctement les voiles. Les moteurs sont en marche et il essaie de trouver le bon équilibre entre voiles et moteurs ! La mer est d’une couleur turquoise surprenante. On se croirait vraiment dans la mer des Caraïbes !

Après réflexions Charles met le cap sur l’île de Vis, à 110 milles nautiques, première île croate que nous rencontrerons, en principe demain matin vers 8h30. Nous passerons donc une autre nuit en mer, en espérant avoir un bon vent : pas trop fort mais pas trop faible !

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Finalement sur un bateau il n’y a pas souvent le vent idéal : soit de face, soit d’arrière, soit trop faible, soit trop fort ! Avec ça, ce n’est pas facile de naviguer. Jamais contents ! Comme tout va bien, je barre tranquillement . Charles vaque à ses occupations.

Vers midi le vent forcit et la mer devient agitée, nous coupons les moteurs et apprécions le presque silence. Juste le vent dans les voiles. Les vagues commencent à nous bringuebaler mais par rapport à ce que nous avons vécu avant notre arrêt à Trani, ce n’est presque rien. Comme quoi je m’habitue !

En début d’après midi il décide de mettre le cap sur Zadar. Carrément ! Plus long que Vis mais plus direct. Pas la peine de tergiverser, allons droit au but ! L’arrivée est prévue après demain, vendredi à minuit. En effet il y a quand même plus de 156 milles. Deux nuits en mer, mais pour la bonne cause. Je sens la maison s’approcher et c’est vraiment…super bon !

Il me tarde d’y être. Retrouver notre maison et y rester quelques jours avant de repartir vers Gresse en Vercors, notre nouveau « chez-nous ». Nous avons réservé nos billets d’avion de Split à Genève le 4 mai. Je suis assez excitée car ce sera la première fois que nous prendrons l’avion et décoller de Split et voir ces centaines d’îles de là-haut me fait drôlement envie. Le spectacle doit être magnifique et j’ai hâte de le découvrir. Nous aurons tout juste le temps de ranger quelques affaires et régler les quelques trucs pour le bateau, pour le laisser bien amarré devant la maison. La bura peut souffler fort, c’est sûr, mais les vents les plus dangereux seront ceux d’est ou d’ouest. Il va falloir que Charles réfléchisse bien au meilleur accostage !

Dans l’après midi, un oiseau vole très près du bateau. Il nous semble que c’est un rapace et il a l’air d’être fatigué car quand il s’approche du bateau il fait mine de vouloir se poser. Mais la peur doit être plus forte que la fatigue et il repart. Le pauvre, là au milieu de nulle part, ne sait sans doute pas comment faire. Ah ! s’il nous connaissait et s’il savait que nous ne lui ferions jamais de mal. Au contraire…le capitaine le cocoonerait ! Mais bon après deux ou trois passages, nous ne le voyons plus. Dommage.

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En fin de journée, nous filons à un peu plus de 7 nœuds avec un vent de 18 nœuds. La mer est agitée mais les vagues écumeuses mais régulières vont dans le même sens que nous, donc pas de souci, le cata glisse sans secousse et c’est bien agréable.

Charles est à la barre, je suis dans le carré en train de trier des photos, quand tout à coup le doux bruit du moulinet se fait entendre. Deuxième fois ! Super, cette fois ci serait-ce la bonne ? ça déroule sec, vite, trop vite ! « Claaakkk » ! Pas le temps de faire quoique ce soit : adieu fil et rapala (encore un de perdu ! cling ! re 15 € !!!! On regarde abasourdis notre canne à pêche toute nue, stoïque, comme si de rien n’était ! Alors que s’est-il passé ? un poisson trop gros a tout embarqué ? ou un tronc d’arbre ? ou un gros bidon ? Allez savoir ?? J’opte pour le poisson, plus cool quand même !

Bon, cette fois ci, je range une bonne fois pour toute cette foutue « canne à rien » !

La houle devient de plus en plus forte, le vent se stabilise à 14 nœuds. Tout va bien et j’espère que la nuit sera comme ça. Obligés d’affaler la grand voile dans le noir complet, l’équilibre est difficile à tenir, mais j’y arrive. La proximité de la Croatie me donne des ailes.

A minuit et demi, nous entrons dans les eaux territoriales croates. Nous sommes un peu chez nous. Enfin… D’accord il reste quelques milles à parcourir mais ça le fait quand même.

**********

Jeudi 28 avril

Splendide lever de soleil sur la première île croate que nous distinguons au loin, Vis, la plus occidentale de Croatie que les Grecs appelaient Issa. Elle appartint à la République de Venise pendant près de quatre siècles et ses eaux territoriales furent le théâtre de nombreuses batailles navales.

Jusqu’en 1918 elle fut administrée par l’Empire austro-hongrois et pendant la deuxième guerre mondiale, elle servit de refuge à Tito qui y organisa la résistance contre les forces de l’occupation allemande. Elle fut transformée en une base militaire yougoslave jusqu’en 1989. La guerre en Croatie ne toucha pas l’île et l’armée yougoslave quitta définitivement Vis en 1992.

Ce n’est qu’à l’indépendance de la Croatie que Vis fut ouverte au tourisme.

Nous ferons d’ici quelques mois la tournée de toutes les îles croates et elles ne sont pas loin de 1200 ! Vis en fera partie évidemment car elle abrite de nombreux trésors architecturaux et de merveilleuses criques et elle produit un excellent vin rouge, le Plavac Mali.

Le roulis continuel m’épuise, je suis un peu patraque et je crois que la fatigue y est pour beaucoup. Je n’en peux plus et je pense que Charles commence lui aussi à en avoir ras le bol ! Nous avons une grande envie de nous poser et de retrouver la terre ferme !

Par moment la mer devient forte, avec une grosse houle qui ne nous ménage pas. Le temps est brumeux et la visibilité très moyenne, le vent souffle entre 10 et 15 nœuds : le bateau avance à un bon rythme.

Nous naviguons entre les îles croates. La luminosité n’est pas terrible mais nous pouvons quand même imaginer la beauté de toutes ces îles qui semblent sauvages et peu habitées.

Nous passons devant un ilot où trône le phare de Prisnjak accompagné d’une jolie maison aux volets verts qui semble nous ouvrir la porte des Kornati. Cet édifice, comme presque tous les phares majestueux de Croatie, est bâti avec les belles pierres calcaires des îles dalmates. Cette même pierre qui a servi à l’édification du palais de Dioclétien à Split, de la Maison Blanche à Washington et du Reichstag à Berlin.

Très souvent une petite chapelle est nichée près du phare sans doute pour protéger les navigateurs.

L’archipel des Kornati, parmi le plus sauvage de Croatie, compte près de 150 îles et îlots. Un parc national a été fondé en 1980 tant la beauté de ces îles est exceptionnelle. Eaux transparentes, falaises abruptes et des kilomètres de murets de pierres sèches délimitant les terrains des différents propriétaires qui s’occupent de leurs champs d’oliviers et de vignes. Certains y élèvent des moutons.

Les Kornati sont classées au patrimoine mondial de l’Unesco et ressemblent à des perles tombées du ciel au milieu de l’Adriatique. La légende ne dit-elle pas que Dieu aurait jeté quelques cailloux qui se seraient transformés en perles ?

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)
Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Sur Kornat, l’île la plus grande, l’artiste croate Nikola Basic a créé « le Champ de Croix » en hommage aux dix pompiers qui ont perdu la vie en 2007 en tentant d’éteindre l’incendie des Kornati.

Autant de morts causés par de nombreux dysfonctionnements (matériel mal adapté, largage d’eau mal coordonné ajoutés au vent violent) Il s’agit de douze croix de pierre, construites de main d’hommes sans aucune machine et érigées à même le sol que l’on peut mieux admirer depuis une certaine hauteur.

C’est également lui qui a créé les « Orgues marines » et le « Salut au Soleil » à Zadar. Immense disque de vingt-deux mètres de diamètre, constitué de trois cents panneaux solaires, qui, une fois le soleil couché, débutent un merveilleux ballet de lumière évoluant sur la mélodie des orgues marines au rythme des vagues.

Vraiment dommage que le temps soit si maussade. La lumière est triste, les couleurs ternes. Et malgré ce que je vois et découvre, la route est longue, mais longue. Le temps s’étire sans fin…et Zadar est encore loin.

Le vent souffle toujours autour de 10 nœuds, moteurs et voiles nous portent sur les vagues de plus en plus longues et fortes. La pluie se met à tomber, d’abord en bruine légère et en arrivant sur Zadar ce sont des trombes d’eau qui dégoulinent et nous trempent. Pas franchement agréable.

Mais curieusement cela ne m’empêche pas d’apprécier l’arrivée sur cette ville que j’aime tant. La découvrir par la mer est vraiment différent mais superbe. L’université, la plus ancienne de Croatie, l’église Saint-Donat qui n’a plus de fonction religieuse mais qui accueille de nombreux concerts tant son acoustique est exceptionnel et le clocher de la cathédrale Sainte-Anastasie, offrent à mes yeux un merveilleux spectacle. Nous nous sommes tellement promenés sur ce quai qui nous amène aux orgues marines.

L’arrivée au port se passe bien, malgré la pluie incessante. Un gardien vient à notre rencontre et récupère les papiers du bateau : il est trop tard pour aller à la capitainerie.

Rompus de fatigue nous nous couchons très vite. Demain… oh ! Demain, l’arrivée à Sibuljina !!! Yaooouh !!!!!!!

Vendredi 29 avril

Au réveil, nous sommes surpris de voir à nos côtés un énorme voilier. Rien entendu de son accostage et pourtant vu sa taille et le nombre d’employés ça a du faire un peu de bruit ! Ce qui prouve que nous sommes dans un état de fatigue avancé. La pluie s’en est allée et les nuages commencent à s’estomper. Si nous pouvions avoir beau temps pour notre arrivée et surtout l’amarrage de l’Alcazar aux bouées qui l’attendent.

Nous partons à la capitainerie mais avant nous trouvons un bistrot … premier « bjela kava » ! Comme c’est bon ! J’apprécie vraiment. Une sensation de « retour à la maison » me réchauffe le cœur et je me sens toute légère.

J’aime ce pays, j’aime les gens, j’aime l’ambiance, l’atmosphère.

Après avoir fait les pleins, après avoir payé une petite fortune cette dernière nuit à Zadar (la plus chère de tout notre périple !) nous mettons le cap sur SIBULJINA !

Nous allons contourner l’île de Vir car le pont qui la relie au continent est trop bas pour notre Alcazar qui frise les 18 mètres. Ça rallonge mais le temps devient superbe et la mer d’huile. Pas de ballotage en perspective, tant mieux. Nous avons la chance de croiser un dauphin, seul, tranquille, il ne cherche pas à jouer avec nous, non il est plutôt « pépère » !

Mais quelle joie encore une fois de profiter de ce doux mouvement…

Beaucoup de sècheresse sur cette île et toujours les murets de pierres sèches : quel boulot ! Et pourtant les Dalmates n’ont pas la réputation d’être de gros travailleurs. « Polako » (doucement) le maître mot Dalmate !

Enfin nous voyons notre Velebit et je le trouve encore plus beau. J’aime cette chaîne de montagne, qui tombe dans la mer adriatique. Son plus haut sommet culmine à un peu plus de 1700 mètres. L’hiver il est recouvert de neige et le contraste avec la mer fait le plus bel effet. Il abrite le Parc National de Paklenica où nous allons souvent nous promener. Nos « invités » aiment les baignades

mais aussi les ballades en montagne avec à l’arrivée un accueil particulièrement sympathique et chaleureux par Mario qui n’oublie pas d’offrir à ses visiteurs la petite gnole « récompense » au son d’un air croate joué à l’accordéon. Moment unique avant de goûter aux spécialités !

L’île de Pag est à portée de voiles ! Comme j’aime cet endroit. Il cache trois spécialités :

  • le mouton de Pag qui broute les herbes aromatiques, thym, sarriette et marjolaine qui leurs donnent un goût si particulier.
  • Les dentelles de Pag : très appréciées par la noblesse autrichienne, deux dentellières de Pag travaillaient en permanence à la cour de Vienne. Un festival international de dentelles est organisé par la ville de Pag.
  • Le fromage de Pag : très réputé, il est exporté dans le monde entier ! C’est le plus célèbre fromage croate. Fait avec le lait de brebis, élevées sur l’île et nourries de ces fameuses herbes aromatiques qui donnent un goût particulier et très agréable au fromage.

Nous apercevons le fameux pont que nous avons traversé de nombreuses fois avec nos invités pour leur faire découvrir cette île quasi désertique sur son versant nord balayée par les embruns et la bura pouvant souffler jusqu’à 200kms/h et parfois plus. Visiter la vieille ville de Pag avec ses marées salants et son musée du sel, parcourir l’île jusqu’à son extrémité, être surpris par l’exceptionnelle forêt d’oliviers centenaires voire millénaires, qui nous offrent un spectacle étonnant et émouvant, déjeuner au bord de l’eau et pour se désaltérer boire un bon « gemischt », enfin aller au bout du bout de l’île à pieds en longeant la côte rocheuse (parfois se baigner) et déposer « son » petit cailloux sur le cairn, l’immortaliser « clic » une petite photo !

Elle est pas belle, la vie ?

Ce pont, nous l’avons également passé plusieurs fois avec notre petite barque qui nous emmenait canoter le long des plages rocheuses de Pag

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

mais là, c’est la première fois que nous glissons doucement dessous avec l’Alcazar.

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Nous sentons la maison : plus que quelques milles, une petite demi-heure et nous apercevrons la maison.

Dernière ligne droite, cap sur le ponton ! Ce sera le point final de ce merveilleux voyage. Premier périple plus long et plus dur que je ne pensais, mais je sais que les meilleurs souvenirs prendront le dessus sur les moins bons et les quelques mauvais. C’est ainsi. C’est fait.

Nous longeons cette côte que je connais si bien, je retrouve tous mes repères et je suis heureuse. Heureuse de cette si belle aventure. Heureuse d’avoir fait cette belle traversée, d’avoir été aussi parfois au bout de ce que je pouvais, je suis fière de ce que j’ai entrepris car ce n’était pas gagné d’avance et pour une première expérience c’était beaucoup !

Et là, sur notre catamaran qui a été lui aussi exemplaire, (aucune avarie, on peut compter sur lui) à côté du Capitaine qui sourit je me sens bien avec cette envie au fond de moi de nouveaux voyages, de nouvelles découvertes. Il me reste tant de choses à découvrir. Ma curiosité ne va pas se tarir, ni toutes les merveilles du monde. Pourquoi pas une traversée de l’Atlantique ? Du Pacifique ? On verra quand le moment sera venu. Mais je suis partante pour de nouvelles aventures !

La maison est là, devant nous.Elle n’a pas bougé !

Bon, ok, je me prépare à l’accostage ! Et cela ne va pas être très aisé car il y a un petit vent sympathique qui va compliquer notre premier amarrage. Pas de panique, je vais bien y arriver. Après tout nous sommes chez nous ! Allez au boulot !

Deux heures et demie après nous sommes enfin bien amarré !

Deux heures pour s’amarrer aux quatre points qui nous attendaient : une bouée pour chaque côté avant du bateau et un bout pour chaque côté arrière !

Encore des efforts, encore du stress. J’ai mal aux mains et aux bras à force de tirer sur ces bouts mouillés qui glissent mais que je ne lâche surtout pas ! Le Capitaine est aux taquets mais il ne s’énerve pas ! Ouf !!

En tout cas nous sommes tous les deux contents de rentrer chez nous, sur la terre ferme. La maison est comme on l’a laissée, quelques jours pour remettre le jardin en état car l’herbe a drôlement poussé. Pas vraiment de repos mais bon, c’est comme ça. Je ne vais pas me plaindre, ça friserait l’indécence !

Nous laissons nos affaires sur le bateau, nous nous en occuperons demain. Nous avons trois jours pour régler ce qui doit être réglé, avant de prendre le bus pour l’aéroport de Split et rejoindre Gresse en Vercors.

Le capitaine nous a conduits à bon port.

Il a été un superbe Capitaine, toujours sûr de lui (en tout cas il en avait l’air !), peu d’hésitations, cherchant la bonne solution et la trouvant (heureusement), toujours de bonne humeur, malgré quelques petits moments d’énervement (j’avoue presque toujours justifiés) dans les moments sensibles !

Tu n’as rien d’un sale pirate et c’est tant mieux.

Fatigués mais heureux d’avoir réussi cette si belle aventure !

Ce soir-là, nous nous couchons et de notre chambre je surveille l’Alcazar…

Notre périple entre Saint Mandrier (France) et Sibuljina (Croatie)

Merci, Charles pour ces moments de bonheur.

 

 

Croatie Corfou 2017 -  Croatie les Antilles 2018/2019...?

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